Mes réticences à participer à Ninja Warrior [cet article, précédé de celui-ci].
Le casting de Ninja Warrior [Partie I sur mon organisation catastrophique, et Partie II sur le Casting]
« Veni, vidi, perdidi. » [1] Jules César devant le parcours de Ninja Warrior
Mon arrivée
Le personnage
Les journées
Les épreuves
Les règles
Et les épreuves ? Pourquoi je ne parle pas des épreuves ?
« Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage », « Tout vient à point à qui sait attendre », « Rien ne sert de courir, il faut partir à point ! » disent le rat, Rabelais et la tortue [11].
Lorsque j’arrive à Cannes, je n’ai aucune idée de la façon dont les épreuves se déroulent. Je n’ai jamais regardé l’émission. Je n’ai en fait jamais eu la télé. J’ai certes été privé de quelques divertissements étant enfant, mais ma curiosité maladive en a été d’autant plus satisfaite, qu’elle touche aux sports, à la musique, à l’art ou aux sciences. Notez bien que depuis que j’ai un smartphone, j’ai perdu le double du temps gagné à l’époque. Raison de plus pour arrêter de digresser.
Bref, je représente le candidat qui n’y connait rien, et qui en plus arrive 3 jours après les autres. Un bon gros cas social comme l’aime la télé. Pas de panique, il y a 200 candidats sélectionnés, divisés en 4 groupes de 50. Je passerai simplement dans le dernier groupe. Si je suis qualifié, la demi-finale se déroulera le lendemain. Je n’aurai pas de jour de repos pour profiter du cadre pour une session sympathique de parkour. Je m’en passerai !
En revanche, je manque quelques affaires intéressantes. Le grand favori Sean Mccoll tombe au tout début. Le gagnant de l’année dernière tombe aussi. Il n’accepte pas les règles du jeu, et sort de l’eau pour terminer le parcours en le trempant pour les prochains candidats. Dans un autre registre une candidate, probablement impressionnée devant le parcours, décide d’assurer quand même le spectacle et de se déshabiller intégralement avant de tomber au premier obstacle. Clairement, certains candidats ne sont pas sélectionnés pour leur niveau ; ça ne m’empêche pas de les trouver tout à fait sympathiques !
Maintenant, les règles. Nous devons nous retrouver sur place à 18h. Maquillage, tournages et interviews doivent être faits avant. Manger et dodo aussi. J’apprendrai à mes dépends que ce n’est pas toujours facile à gérer… Il est interdit de sortir même pour s’échauffer, à moins d’être accompagnés par ce qu’ils appellent eux-même nos « nounous ». On attend pendant 1h sur place, puis on fait un tour des obstacles. Un membre de l’équipe de testeurs fait une démonstration, on peut regarder de loin une seule fois, puis on rentre en loge. Il est interdit de s’approcher, et bien entendu de tester les obstacles. Ceux-ci ont l’air glissants, trempés par les embruns de la mer de Cannes. Les premiers appelés passent à 21h, les derniers entre 4h et 6h du matin selon les jours. On ne connait pas notre ordre de passage, il faut donc être capable soit de s’échauffer très vite, soit de rester chaud toute la nuit. Si on tombe, il faut faire nos bagages, trouver un transport, et partir avant 10h du matin.
La pression est donc bien présente, accentuée par tous les paramètres d’incertitude. Que diable allais-je faire dans cette galère ? [4]
Les séries
Il est 3h30 du matin, c’est mon tour. Pour le premier obstacle, il y a deux voies possibles. J’hésite jusqu’au bout. Vais-je choisir les bras à gauche, pour une épreuve que j’imagine facile ? Ou les jambes à droite, avec les triangles à bascule ? Aucun des participants n’a réussi à passer les triangles jusqu’à présent, je ne vois pas bien comment les aborder. Je pars sur la voie de gauche pour suivre la voix de la raison… et puis finalement je change d’avis : je prendrai les triangles à bascule, ça a l’air plus drôle ! Je suis en sarouel, si je tombe j’aurai une excuse toute faite !
Je saute… Et les triangles à bascule basculent. Je me sens descendre, descendre, descendre ! Tant pis, ma prestation n’aura pas duré longtemps. NON ! Je n’accepte pas le destin. Je m’accroche avec les ongles, je me fais fort sur les bras pour remonter, et léger sur les jambes pour stopper la rotation du triangle. Ça passe. Je suis en haut, content de savoir faire une planche de pompier. Première frayeur.
Second obstacle, la roue infernale. Tiens, il y a quelqu’un derrière la roue qui est là pour la faire tourner. Tiens, je connais ce mec !! J’ai fait le carnaval de Nice avec lui. J’essaie de discuter mais il n’a pas l’air réceptif. Je suppose qu’il a autre chose à faire. Moi aussi d’ailleurs, je passe à la télé et je suis pressé là ! Suis-je distrait. Mon pied s’échappe de la prise dès la première rotation, mais je parviens à le replacer et arrive au bout sans encombre. L’ensemble se passe mieux que ce que j’aurais imaginé.
Troisième obstacle, la grande envolée (notez que j’invente les noms des obstacles au fur et à mesure). Je prends mon élan, je cours sur les marches inclinées, c’est du parkour, c’est facile. J’attrape la corde, fais un aller retour pour la forme, me prends au passage une marche dans les côtes, et je me pose délicatement sur le tapis de réception.
Quatrième obstacle, les mikados. C’est comme dans les arbres, c’est facile. Depuis le début je vois des gens crier mon nom. Mais qui sont tous ces gens ?? Je ne comprends pas, ne suis-je pas censé connaître personne ici !? Je scrute le public sans succès, à la recherche d’un regard familier. J’apprendrai par la suite que ces gens qui choisissent de passer la nuit sur les bancs froids de Cannes ne sont pas mes amis, ils sont encouragés par une équipe qui leur lance des bonbons et autres goodies. On fait mieux en termes de spontanéité, mais les encouragements portent quand même !
Dernier obstacle, le mur incurvé. C’est comme du parkour, en différent. Ma course d’élan n’est pas géniale, mon pied mouillé glisse un peu, mais j’arrive en haut. Je suis accueilli par les présentateurs Christophe Beaugrand et Denis Brogniart, qui ont l’air contents de me voir. Après tout, être content c’est leur métier.
» Félicitations David, tu as surpassé de plus d’une minute le premier du classement ! Je peux dire avec assurance que tu es qualifié pour les demi-finales !
– Ah ! Ça fait plaisir ! Eh bien je vais essayer de faire de mon mieux demain !
– Tu veux dire tout à l’heure ?
– Non non, demain !
– S’il te plaît sois gentil, dis « tout à l’heure » ! On fait semblant que vous enchaîniez les deux parcours.
– Mais il est déjà 4h du mat’, vous ne pensez pas qu’on devrait reporter ça à demain ? «
J’aime beaucoup faire tourner en bourrique les gens, et les voir se demander si je suis naïf ou seulement stupide.
Demi-finales
Avant le début des épreuves, un homme me félicite pour mon parcours :
» Merci mec ! Par contre j’ai du mal à situer, tu as fait le parcours aussi ?
– Oui bien sûr !
– Je suis désolé j’ai pas dû faire attention, comment ça s’est passé ?
– J’ai pris le mur incliné par l’escalier, et ensuite j’ai attendu là pour commenter les prestations de tout le monde.
– Aaaaah ! Ah mais d’accord je vois ! C’est toi le commentateur avec le grand blond ?
– Oui, enfin en l’occurrence moi c’est Christophe Beaugrand. Et le grand blond c’est Denis Brogniart. Et la commentatrice c’est Sandrine Quétier.
– Encore désolé, je vois tellement de nouvelles personnes que j’ai du mal à retenir tout le monde…
Ce n’est en fait pas un cas isolé, je passe à côté de chacun d’entre eux sans jamais les reconnaître : c’est fou comme les gens sont différent sur l’écran de côte à côte au quotidien.
Ce soir, je suis encore une fois l’un des derniers à passer. C’est après toutes ces heures d’attente que j’apprends à 4h du matin que j’ai 10 minutes pour me préparer. C’est le jeu ma pauvre Lucette! [12] Les présentateurs aussi craquent. Au point culminant d’une belle envolée lyrique, Christophe Beaugrand est arrêté net par un terme qu’il n’arrive plus à prononcer. Il recommence, il essaie encore, il y met de la bonne volonté pourtant !… Et puis c’est plus fort que lui, il laisse échapper un « oh merde j’y arrive pas » un tantinet moins théâtral. Qu’allait-il faire dans cette galère ? [4]
Mais c’est mon tour maintenant. Premier obstacle, les flippers géants. C’est comme du parkour, c’est facile. Pour dire la vérité, je trouve honnêtement que les obstacles de Ninja Warrior ne sont pas difficiles à franchir. En revanche, ils sont trempés. Et surtout, on ne peut pas les tester. Avant d’être en plein cœur de l’action, on n’a donc aucune idée de comment ils vont se comporter. Ainsi, la première clé est la capacité d’adaptation. Par ailleurs, la moindre erreur d’inattention est fatale. La seconde clé est donc la capacité de concentration. L’inattention étant ma spécialité, je ne comprends pas comment je suis encore en course…
Second obstacle, la poutre inversée. Physiquement je suis facile, mais pas concentré : je ne sais plus s’il vaut mieux me retourner ou pas, utiliser les pieds ou pas. J’ai probablement trop gambergé après le coup d’éclat de Clément Buzo. Vais-je prendre le même risque que lui en sautant directement sur la poutre pour le fun ? Je choisis de rester humble. Lâche et peureux, mais humble.
Troisième obstacle, l’échelle d’Hercule. Je n’anticipe pas le fait la barre pouvait tourner entre les doigts, je ne passe pas loin de la lâcher. Les sauts suivants passent mieux, je sais à quoi m’attendre. Je passe aux anneaux. Est-ce que je dois essayer de glisser sur les rails, ou plutôt de placer l’anneau à un emplacement stratégique ? Trêve de réflexions, allons-y à l’instinct. Ça passe.
Le quatrième obstacle s’annonce. Mais avant, je dois respecter une promesse que j’ai faite aux frères Trébuchon, qui m’ont tanné pour que je fasse une figure lors de mon passage. Je sais faire, je ne perds pas de temps ni ne prends de risque, pourquoi pas ! Et un salto tout basique fait toujours beaucoup d’effet pour peu d’effort. Enfin la cheminée, quoique rendue un peu glissante par les embruns, se passe bien. J’en arrive donc à buzzer, et ce avec le meilleur temps !
Finale
Le lendemain je suis bien fatigué, mais j’essaie de ne pas m’écouter. Le manque de sommeil, la faim, la fatigue de l’interview de l’après-midi, commencent à se faire ressentir. L’inaction aussi : j’ai fourni 4 minutes d’effort depuis 3 jours. 4 minutes de plus sur ce parcours me feront toujours un peu de bien ! Par ailleurs, je ne suis plus l’anonyme qui a créé la surprise, je suis l’un des favoris. Les attentes du public me pèsent un peu sur les épaules.
Comme d’habitude, la caméra peut nous prendre à parti à tout instant. On me demande, spontanément, si j’ai un cri de guerre. « Bah non j’ai pas de cri de guerre, je suis pacifiste moi ! »
Bon, c’est le moment d’y aller. Premier obstacle, facile. Second obstacle, facile aussi. Troisième obstacle, le half-pipe. Beaucoup ont glissé dessus, j’ai quant-à moi la chance d’arriver de l’autre côté sans trop de problème. Le passe-muraille, ça passe aussi. L’araignée c’est facile, j’ai passé mon enfance à faire ça dans les couloirs. Je m’y précipite, je saute, j’écarte les jambes et les bras, c’est bon j’y suis… mais. AH ! [13] Ô rage, ô désespoir, horreur, c’est l’erreur ! Je suis en train de tomber !! Je tombe. C’est la fin de mon aventure.
Je dois dire, je suis un peu surpris. Quelque part, je rêvais que ma flamme intérieure vaporise l’eau de Ninja Warrior. Eh bien non, pas du tout. La flamme intérieure, c’est du pipeau. Je ne sais pas trop quoi penser de ma chute, mes sentiments sont confus et contradictoires, ils n’ont pas même la décence de suivre le classique modèle Kübler-Ross [14].
- Déni. D’abord, c’est un « Ah ! » de surprise [13]. Désolé je me suis trompé de pied, je recommence ! Non ? Bon bah c’est fini. Retour au loges !
- Acceptation superficielle. Ce « Ah ! » se mute rapidement en un « Enfin c’est fini ! » Cette pression pour 2 minutes d’effort, cette diffusion de performances non maîtrisées pour un public avide de sensationnel, ça me met mal à l’aise. Ce sont des attentes énormes pour beaucoup de vent. Pourtant, je ne suis pas un puriste de l’anonymat. Je n’ai rien contre la pression d’un public, autrement je ne ferais pas des spectacles mon gagne-pain. Également, j’aime énormément me mettre hors de ma zone de confort et m’essayer à des exercices que je ne maîtrise pas.
En revanche, je préfère y travailler seul ou avec un petit cercle d’amis ; certainement pas devant des millions de téléspectateurs. Pas avant d’en atteindre la maîtrise. C’est l’une des différence entre les spectacles et les compétitions. Cette expérience aura au moins eu le mérite de me rappeler pourquoi pourquoi j’ai aimé le parkour et quitté les autres sports. - Colère. Puis vient le : « C’est nul j’aurais dû faire attention, c’était pas si dur. » J’avais vraiment envie de faire les épreuves de bras ! C’est à partir de là que j’aurais pu exprimer mon potentiel. Dans les heures et jours qui suivent, je n’arrête pas de repenser à ma chute. Quel gâchis. Comment ai-je fait fait pour réussir à tomber sur ça ? Même pour ma mère, cette chute ici est la plus grande des surprises ! Si j’avais pris un peu plus mon temps comme lors des premiers tours, ça serait passé. Plus ça va, plus il y a de regrets. Le sentiment d’inachevé est difficile à digérer. Pire encore, je n’ai pas le droit de tester les obstacles suivants, même pour jouer.
- Acceptation profonde. Et enfin, j’accepte. J’ai voulu essayer, j’ai essayé. Je n’ai jamais eu aucune attente sur mes performances. On a tendance à l’oublier, j’aurais très bien pu tomber plus tôt ! Donc je suis content. Et déçu. Mais content. Mais quand même, si j’avais fait ci j’aurais pu mieux m’en sortir et j’aurais pu mettre Paris en bouteille ! C’est la vie ! Les réussites font plaisir et donnent confiance, mais il est important de se confronter à l’échec de temps en temps – encore plus lorsque l’échec ne porte pas à conséquence. Comme l’écrit justement Isaac Asimov, « dans la vie, contrairement aux échecs, la vie continue après échec et mat. » [15]
Après moi
Je monte sur le toit du palais des festivals de Canne où se passe l’interview post-échec, et j’en profite pour faire un peu d’exploration. C’est tout ouvert, c’est tout désert, personne n’est là pour juger mes délires, c’est extraordinaire ! Je prends un selfie aux côtés du portrait d’un acolyte chauve, Bruce Willis. Je découvre les coulisses du festival et m’en fais une carte mentale. L’excitation que j’ai contenue jusque là peine à redescendre. Je fais quelques sauts dans les escaliers, je me laisse glisser sur la rampe dans un élan de nostalgie envers mes jeux d’enfant. Une fois bien défoulé, je redescends vers le parcours de Ninja Warrior.
C’est la dernière fois que je dois passer le portail. Je réfléchis, puis j’esquisse le geste de jeter mon badge à la poubelle. Il est moche et il m’encombrera, je n’ai aucune raison de le garder. Les souvenirs seront dans ma tête, dans celle des autres participants, et luxe ô combien suprême, je laisserai ma trace à la télé. Voyant mon hésitation, quelqu’un m’arrête.
» Excusez-moi, vous voulez jeter votre badge ?
– Oui ! Il est inutile maintenant !
– …
– Tu le veux peut-être ?
– C’est vrai je peux l’avoir ? Vraiment ?!! Merci beaucoup, merci ! C’est un objet de collection maintenant ! »
C’est très gratifiant, mais c’est surtout excessif. J’ai eu un aperçu fugace du star-système, où un bout de papier prend de la valeur par le seul fait que je l’ai touché. N’importe quoi. Rien d’étonnant à ce que les égéries de la télévision se prennent pour des demi-dieux aux grosses chevilles !
M’enfin. Reste à encourager les candidats restants et à profiter du spectacle avec sérénité ! Les trois derniers en lice sont tous grimpeurs professionnels. Autant les épreuves du début semblent être faites pour les traceurs, celles de la fin sont taillées pour les grimpeurs : tout se joue dans les bras. De plus, maintenant que l’escalade est un sport compétitif, les grimpeurs sont bien préparés à faire face ce genre de pression. Rien d’étonnant à leur succès donc !
Ils savent aussi gérer leur effort, et se mettre dans une bulle coupée du monde. Deux super qualités pour des compétiteurs, un peu moins sympathiques pour le public. La dernière partie du parcours n’est pas chronométrée. Ils prennent le temps de se préparer mentalement et de se reposer physiquement entre chaque obstacle. Beaucoup. Et longtemps. Ils font des siestes. 20 minutes entre chaque obstacle. C’est long, très long. On s’ennuie ferme, le public s’en va, les autres participants aussi. Il est 7h du matin, je sens la fatigue refaire surface avec puissance.
Une seule solution dans ces cas, grimper sur un roux ! Ça tombe bien, j’ai un Clément Buzo sous la main qui veut bien se prêter à l’exercice. Ce faisant, Thomas Ballet fait des merveilles. Il passe tous les obstacles calmement mais sûrement. Il arrive à l’avant dernier obstacle, la flying bar. Il se balance sur une barre, qu’il parvient à envoyer et replacer sur la plateforme suivante. Seconde… Troisième… Et c’est l’échec ! Un échec qu’on ne comprend pas. La barre reste en arrière, lui y est toujours accroché entre deux plateformes. Pour éviter qu’elle soit trempée après chaque chute, la barre est reliée par une ficelle à une glissière qui suit les mouvements. Cette glissière est resté bloquée…
C’est une erreur technique, face à de tels enjeux c’est grave. Thomas n’y est absolument pour rien, il doit se taper le choc psychologique de l’année et y faire face. Comble du comble, la production a le culot de vouloir lui demander de recommencer le parcours dans son entièreté. On commence à sentir la tension, ils ne veulent pas lâcher leurs 100 000€ et Thomas leur fait un peu peur ! Devant le tollé du public, ils acceptent qu’il ne recommence que la flying bar. Thomas reste concentré, il oublie sa révolte, et il se replace au début de l’épreuve. Il a maintenant ancré le mouvement dans son esprit, il n’a plus qu’à se couper de ses émotions et à laisser son corps agir. Et ça passe, avec brio.
Ne reste plus que la tour des héros ! 23 mètres de corde à grimper en moins de 30 secondes. Thomas fait une nouvelle sieste, et le public se réveille tandis que la production monte en pression. J’entends quelques mots s’échapper d’une conversation : « Si il arrive au bout, il n’y aura probablement pas de nouvelle saison de Ninja Warrior l’année prochaine ! » Ah bon. L’histoire de la carotte des 100 000 € ce n’était pas qu’une impression personnelle, TF1 ne comptait vraiment pas sur un possible gagnant…
Thomas met quelques secondes de trop pour atteindre le buzzer. Malheureusement pour lui, heureusement pour TF1. Le malheur des prolétaires fait le bonheur des entreprises. Ça reste une belle aventure, pleine de belles rencontres et de défis intéressants !
L’heure du bilan
Qu’en retirer de cette expérience ?
Avant tout, c’est une expérience que je ne regrette absolument pas. Je n’ai aucune raison d’avoir de quelconques arrières-pensées. J’ai vécu un bon quart d’heure de gloire, c’est toujours ça de pris ! J’ai eu des centaines de nouveaux followers, de demandes en ami, quelques personnes m’ont reconnu dans la rue. J’ai reçu des messages flamboyants d’admiration, ou au contraire très touchants… C’est quand même gratifiant. L’instant d’un regard, j’ai touché du doigt un plaisir grisant et addictif…
Grisant et addictif, autant qu’absurde et dangereux. J’ai été placé sur un piédestal que je ne méritais pas. Que personne ne devrait penser mériter d’ailleurs. Trop de gens ont placé des attentes irrationnelles sur ma réussite, alors que je ne les connaissais pas et que je n’ai jamais rien fait pour eux. La télé c’est nul, tout le monde peut me voir, mais moi je ne vois personne. À ce prix là, je préfère offrir un spectacle mis en scène, sur lequel je suis plus serein et qui apporte une dimension artistique. Je préférerais moins d’attentes, pour plus de contenu. Et tant pis pour la reconnaissance ! Gustave Thibon l’a bien dit, « être dans le vent c’est une ambition de feuille morte. » [16]
Ce passage à Cannes a confirmé mes convictions. Je ne veux pas être une star, je ne veux pas être un compétiteur ou un leader. Je veux travailler de mon mieux à mes objectifs. Je souhaite avoir une reconnaissance ajustée à mes mérites, et c’est déjà beaucoup demander.
Par ailleurs, c’est sur une épreuve qui ne m’inquiétait pas que j’ai perdu. « Que celui qui croit être debout prenne garde de ne pas tomber » [17] (La Bible, 1 Corinthiens chapitre 10, verset 12). J’aime ce verset, qui parle autant à mon métier d’artiste de scène qu’à mon expérience de traceur (NdA : pratiquant du parkour). Qu’on soit sur scène ou sur les toits, il est aussi facile que dangereux de se laisser emporter. J’ai emprunté le tremplin vers la gloire, j’en ai raté l’impulsion. Comme prévu, après deux semaines le soufflé est redescendu, je suis retombé vers l’oubli. Veni, vidi, perdidi – Je suis venu, j’ai vu, j’ai perdu. [1]
Sans prendre le risque de m’y engager, je ne pense donc pas réitérer l’expérience l’année prochaine. D’abord, la découverte est derrière moi. Ensuite, je serai attendu au tournant. Je ne suis plus le challenger qui crée la surprise, je dois prouver ma valeur. Je n’ai pas envie de prouver quoi que ce soit. Enfin, si je retente le parcours de Ninja Warrior c’est pour faire mieux. Pour faire mieux il faut m’y entraîner spécifiquement. Or je n’ai aucune envie de m’entraîner spécifiquement à Ninja Warrior. Mon monde c’est le parkour, sans tapis pour m’autoriser à me lancer inconsciemment sans me soucier de l’atterrissage, sans public pour me mettre la pression, sans règles aléatoires, sans attente démesurée.
En revanche, le parcours a vraiment l’air sympathique, je suis très frustré de ne pas avoir pu y passer plus de temps. Je me fiche de ces 100 000€ inaccessibles, je n’aime pas la pression, et néanmoins j’aimerais vraiment jouer dans ces structures. Je peux simplement tenter d’être testeur ! Que demande le peuple ? C’est tout bonus !
Encore une fois. Que demande le peuple ? Panem et circenses [18]. Du pain et des jeux. Je suis en train d’écrire cet article quand Nicolas Kinche, l’un des finalistes de Ninja Warrior, me propose de faire partie de son équipe pour un autre parcours d’obstacle diffusé aux États-Unis… Et à mon grand dam, ça remet toutes mes réflexions sur le tapis. Comment est-ce possible d’être si faible ?!!
Références
[1]↑ Veni, Vidi, Perdidi. – Je suis venu, j’ai vu, j’ai perdu. Jules César devant le parcours de Ninja Warrior
[4]↑ « Que diable allais-je faire dans cette galère ? » Je ne saurai pas répondre. Mais la réponse est probablement à aller chercher du côté du père de Léandre, qui ne sait rien dire d’autre dans les Fourberies de Scapin de Molière. http://www.ralentirtravaux.com/lettres/textes/theatre/fourberies-scapin.php
[11]↑ « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage », Pantagruel de Rabelais http://www.france-pittoresque.com/spip.php?article5529
« Tout vient à point à qui sait attendre », Le lion et le rat de La Fontaine. http://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/poemes/jean_de_la_fontaine/le_lion_et_le_rat.html
« Rien ne sert de courir, il faut partir à point ! » Le lièvre et la tortue de La Fontaine. https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Li%C3%A8vre_et_la_Tortue_(La_Fontaine)
[12]↑ « C’est le jeu ma pauvre Lucette ! » Publicité pour le loto de 1988. Eux aussi ils manipulent des gros sous ! https://www.youtube.com/watch?v=HTU3L0xZEz0
[13]↑ AH ! https://www.facebook.com/LeHuffPost/videos/1443716619011249/
[14]↑ Le modèle Kübler-Ross, ou les cinq étapes du deuil : déni, colère, marchandage, dépression, acceptation. https://fr.wikipedia.org/wiki/Mod%C3%A8le_K%C3%BCbler-Ross .
[15]↑ « Dans la vie, contrairement aux échecs, la vie continue après échec et mat. » Isaac Asimov dans « Destination cerveau – Le voyage fantastique ».
[16]↑ « Être dans le vent c’est une ambition de feuille morte. » Gustave Thibon.
[17]↑ « Que celui qui croit être debout prenne garde de ne pas tomber » (1 Cor 10:12). Ce verset est intégré à mon logo, j’en parle ici : http://david-pagnon.com/fr/a-propos-d-un-logo/
[18]↑ « Panem et circenses ». Du pain et de jeux, la formule miracle des empereurs romains pour être tranquilles vis-à-vis du peuple.
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