Mes réticences à participer à Ninja Warrior [cet article, précédé de celui-ci].
Le casting de Ninja Warrior [Partie I sur mon organisation catastrophique, et Partie II sur le Casting]
« Veni, vidi, perdidi. » [1] Jules César devant le parcours de Ninja Warrior
Mon arrivée
Le personnage
Les journées
Dimanche
J’arrive donc sur les lieux du tournage de Ninja Warrior le dimanche soir, 3 jours après les premiers participants et juste à temps pour la visite médicale. Je récupère les clés de mon appartement, j’hallucine comme il se doit devant le luxe ambiant, j’essaie de travailler un peu mais je prends le parti d’aller me coucher faute d’internet.
Lundi
Le lundi matin c’est le premier portrait, où comme précisé dans la partie précédente je me fais filmer en train de jouer de la flûte dans mon hamac. J’ai déjà raconté que mon personnage à Ninja Warrior était relativement surfait. Ce que je n’ai pas révélé, c’est que je ne sais pas jouer de la flûte. J’ai gagné celle-là à ma grande surprise, lors d’un tirage au sort au détour d’un festival de rue en Arizona, en mettant mon nom dans une boite à un stand d’objets indiens traditionnels. J’aime bien cet instrument, je l’ai mis en scène pour une photo sur mon toit, et l’équipe de l’émission m’a sitôt présenté la courtoise injonction de m’en munir lors du tournage. Apparemment, j’ai beau mieux jouer de la trompette, ça ne fait pas le même effet.
Ceci étant fait, il est toujours impossible de dormir, et impossible de m’entraîner. Je goûte aux joies du show-bizz, baladé de maquillage en interviews, de tests physiques en tournages, en passant par la classique attente inquantifiable entre chaque étape. J’avais des projets pour cette semaine, eh bien ils attendront la suivante ! Qu’allais-je faire dans cette galère ? [4]
Quand je passe enfin sur le parcours, il est 3h30 du matin. J’en discuterai plus amplement dans la partie suivante. Toujours est-il que ça se passe bien ! Tant mieux, je n’avais pas envie de vivre la douloureuse expérience de devoir rentrer chez moi dès mon réveil, comme tous ceux qui sont éliminés y sont contraints. D’autant plus qu’après l’épreuve ce n’est toujours pas fini. On m’amène avec Adrien AD, l’un des participants, sur le toit du palais des festival pour une énième interview. Je n’y dis rien de follement intéressant, en revanche Adrien nous sort 4 perles par minute. Il est à peu près aussi sympa que barré, autant dire qu’il est vraiment très très sympathique ! C’est aussi un philosophe dans la plus pure lignée des Jean-Claude Van Damme & Cie, qui nous fait mourir de rire du début à la fin. Étrangement son portrait sur TF1 ne fait pas du tout ressortir ce côté délirant.
Petite présentation pour poser le contexte : il est né au Vietnam, a grandi dans les bidonvilles, et s’est fait adopter lorsqu’il avait 5 ans. Ou 6. Ou 7, c’est difficile à dire. Son histoire est abracadabrante, mais bel et bien touchante.
« Alors Adrien, il paraît que tu es qualifié pour la demi-finale ? Est-ce que tu as un mot à dire ?
– Ouais déjà je fais une dédicace à maman, à papa, à mon pote untel, à celle-là, si tu m’entends je t’avais dit que voilà, à mes collègues, et aussi à lui, et à ma famille du Vietnam, bento pour eux ! (N.B.: Dans le monde d’Adrien, « Bento ! » est un auto-signal qui active son mode « Dab frénétique »). Et j’en oublie ceux-ci et celles-là, bento ! [dab] Et vous tous, l’équipe, et Catherine la présentatrice, ou Sandrine je sais plus, bento [dab] pour tout le monde !
– D’accord… T’as l’air d’avoir la pêche en tout cas !
– Ah ouais j’ai la pêche, la fraise, la banane, m’en fous j’avale tout !
– Euh sais-tu qu’il est des choses qu’on ne dit pas à la télé ? Mais merci de nous redonner la patate !
– Ouais ça aussi j’avale !
– Avoir passé cette première partie avec succès, c’est déjà un grand accomplissement pour toi ?
– Bah ouais, je voyais des stars, des athlètes olympiques, et moi je fais que des pompes et des tractions chez moi ! Je suis pas dans le showbiz mais je lâche rien [dab] ! Ça a toujours été comme ça, déjà quand je suis né j’étais tout nu !
– Tu es né tout nu ?
– J’te jure ! On m’a coupé le cordon à la hache mon frère ! Bref avant de commencer j’étais super stressé, j’ai mangé, j’ai bu, après je suis allé pisser 10 fois, je suis tombé dans l’eau, j’ai bu la tasse donc je vais retourner pisser dès qu’on a fini de parler, mais bento ! [Dab]
– Autre chose à ajouter ?
– Oui. Mon message c’est pour tous les enfants adoptés. Ce n’est pas parce que ceux qui vous ont élevé ne sont pas vos parents de sang qu’il ne faut pas les respecter. Tout ça c’est des excuses. Vos racines qui se sont développées ici sont bien plus fortes que celles qui restent dans votre pays d’origine, et elles existent grâce aux efforts de vos parents. Si vous avez de la chance ils vous paieront un billet pour retourner voir votre famille, et là vous verrez que ce n’est plus chez vous… Regardez vers l’avenir au lieu de vous entretenir dans une nostalgie qui ne vous fera agir ni pour vous, ni pour votre famille française, ni même pour votre famille au pays. »
Arrêtons-nous là, il est 5 h du matin, il est vraiment temps de dormir.
Mardi
Je n’ai pas de jour de repos avant la demi-finale, mais il serait malvenu que je m’en plaigne puisque tout se passe à nouveau bien – et tard.
« David, tu es l’un des rares finalistes à avoir buzzé deux fois, avec le meilleur temps des deux épreuves cumulées ! On peut dès à présent dire que tu es l’un des favoris de Ninja Warrior.
– Ah bon, c’est vrai ? Je suis content, d’abord parce que je ne m’y attendais pas, et ensuite parce que j’aime bien être content ! [8]
– À qui tu penses en cet instant ?
– Je pense à ma future femme, à ma famille, à mes amis ! Mais… en vrai ça ne change rien vous savez, si vous me posez la question pendant que j’achète mes courgettes, la réponse sera identique… Aujourd’hui je pense pas mal à mon lit également !
– Qu’est-ce que tu feras des 100 000 € si tu les gagnes ?
– Je pense que j’en garderai une partie, j’en donnerai à ma famille ausi, mais j’aimerais en donner au moins la moitié à des organisations ou personnes qui sauraient en faire quelque chose d’utile. Mais c’est facile à dire, puisqu’il y a très peu de chances que j’arrive au bout ! Personne n’a jamais atteint le buzzer final encore, je ne vois pas pourquoi ce serait moi. Pour reprendre Coluche [9] pendant les présidentielles en 1981, « Ouais mais ça c’est comme si vous disiez à un mec qui a pas un rond, qu’est-ce que tu ferais si t’avais un milliard ? De toute façon vous allez pas lui donner le milliard, alors y a aucun problème. Je serais jamais élu président de la république, et puis je veux pas en plus ! »
En réalité il n’y a pas d’argent en jeu, pas même notre défraiement en nourriture et en transports. Les 100 000 euros sont une carotte que TF1 nous tend, en espérant qu’on courre après comme des ânes. Mais comme TF1 est calmement assis sur notre dos, on peut toujours courir. »
Mercredi
Mercredi est un jour de repos. Un repos actif cependant : on discute avec Charlotte Dequevauviller de la politique de la fédération de parkour le matin ; puis comme il se doit, j’oublie mon téléphone dans les aubergines du supermarché ; et enfin je retourne offrir mon corps aux caméras – pour, j’en ai parlé plus haut, ce que je retiendrai comme la plus grande épreuve que mon étanchéité corporelle ait jamais vécu. On mange une crêpe en fin de soirée avec quelques uns des candidats, et on remonte tranquillement à pied chez nous, prêts pour un autre repas plus consistant. Du moins c’est mon cas. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles je ne mange jamais au restaurant : ce qu’on nous y sert m’ouvre l’appétit seulement. Et voilà que je digresse encore. Avant de dormir, je m’offre donc une bonne plâtrée à base de nourriture pour chiens.
Jeudi
C’est le jour de la grande finale. Je me réveille la tête dans le vague, encore fatigué de ma courte nuit. On m’a ajouté une interview à 14h du matin pour « approfondir mon portrait ». Avant ça, j’ai quand même un peu de temps pour vaquer à mes occupations. À midi, alors que je me prépare à manger, un coup de fil paniqué m’extirpe violemment de ma torpeur :
« David tu as une interview dans une heure et demie, il faut que tu partes tout de suite au maquillage !
– Une heure et demie pour 30 secondes de poudrage de face ? Ça me semble quelque peu excessif…
– Non mais il risque d’y avoir de la queue, dans 30 minutes la navette part pour t’y conduire !
– Mais le trajet dure 20 minutes à tout casser !
– Écoute, y a pas le choix c’est le planning.
– Bon tant pis, j’espère que ça ira vite, j’ai pas eu le temps de manger avec ces histoires… Et j’aurais aussi vraiment besoin d’une sieste avant ce soir. » Que diable allais-je faire dans cette galère ? [4]
Je sors de chez moi dans un tourbillon d’effluves alléchantes, emportant avec moi mon appétit inassouvi. J’arrive au maquillage, j’attends. Je me dirige vers la navette, j’attends aussi. Et lorsqu’on arrive sur le toit de l’hôtel de la Croisette, l’évidence s’impose : je n’en ai pas fini d’attendre… Encore trois personnes à interviewer avant que ce soit mon tour. À ce rythme là, j’aurais eu plus qu’assez le temps de manger ! Qu’à cela ne tienne, je visite la terrasse de ce restaurant luxueux où même les fauteuils ont du cachet, et les chips une saveur de 5 étoiles.
J’ai beau essayer de me fondre discrètement dans la masse homogène de clients fortunés, je sens bien que pieds nus et en sarouel je fais tâche… Une tâche qu’on n’oserait pourtant pas enlever, de peur de l’étaler de partout en frottant. Ma crédibilité chute à zéro lorsque pour lutter contre l’inanition, je picore les olives laissées par des clients apparemment peu soucieux du gaspillage. Il faudrait leur faire la morale, je ne serai pas toujours derrière eux pour finir leurs restes ! Les gens n’ont plus peur de rien de nos jours.
Et c’est le début de l’une des interviews les plus éprouvantes de l’histoire du XXIème siècle.
Autant les autres interviews se passaient sous forme d’une conversation décontractée, autant celle-ci est beaucoup plus dirigée. La production s’est faite une idée bien claire de l’image qu’elle veut me coller, maintenant il faut être efficace. Le plus simple, c’est que je répète les phrases qu’on me propose.
Formidable. J’avais justement envie d’être une coquille vide formatée pour les besoins de la télé. Dans tous les cas, ces mots ne me correspondent pas. Autant dans la forme que dans le fond, je ne peux pas répéter sans y apporter ma sauce. Et puis de base, je déteste jouer le rôle d’un perroquet lobotomisé. C’est un principe : avant de sortir de ma bouche, les mots doivent être passés par mon cœur.
On me pose des questions sur ma foi, parce qu’un concurrent « mystique » ferait bon effet à l’écran. Ma foi pourquoi pas ! Je n’en ai pas souvent l’occasion. Je sors le même discours que lors de l’interview après le casting, sur les obstacles auxquels j’ai été confronté dans la vie, qui peuvent être comparés aux obstacles en parkour, ou par extension à ceux de Ninja Warrior. Je crois que le mérite d’avoir réussi à les franchir ne revient pas qu’à moi et à ma personne : Dieu s’est immiscé dans l’équation. Croire en un support qui ne nous lâche pas aide à se battre jusqu’au bout ! Mieux encore, ça aide à relativiser la réussite comme l’échec. J’appuie ceci avec un verset de la Bible.
« Non c’est trop hardcore, ça ne passera jamais ! Dis plutôt que tu crois en ta bonne étoile.
– Ma bonne étoile ? C’est quoi une bonne étoile ? Vous avez un problème avec les étoiles à Cannes, entre vous et tous les restaurants, on ne parle que de ça !
– Ou si tu préfères, dis que c’est le destin qui t’a placé ici ! Il n’y a pas de hasard !
– Comment ça il n’y a pas de hasard ? Vous croyez qu’il n’y a pas de hasard vous ?
– Euuuh… Oui… Oui j’y crois !
– Et si vous étiez née au Mali, dans un pays pauvre et en guerre, et que vous mangiez de la terre pour assouvir votre faim, vous y croiriez toujours autant ? Ils ont mérité leur sort eux ?
– Bon, on n’est pas là pour débattre entre nous, on veut juste faire ton portrait, ça doit durer 45 secondes, ça fait 3 heures qu’on y est !
– En fait ce qui ne me va pas, c’est que je pense que le destin est un fin mélange entre le hasard et la volonté. C’est là que la foi peut aider : si ça ne va pas aujourd’hui, Dieu sera juste pour rétablir la situation demain. Et si ce n’est pas demain, ce sera dans quelques années. Et si ce n’est pas dans quelques années, ce sera après la mort. En attendant, autant faire bonne figure et garder espoir !
Certes, c’est facile à dire quand la vie nous sourit, comme c’est globalement le cas pour moi…
– Dans ce cas, dis simplement « Moi, je suis un battant ».
– Ça fait prétentieux je trouve…
– Mais non pas du tout !
– Bon ok, ce n’est peut-être pas prétentieux mais ça ne me ressemble pas…
– Je t’ai déjà dit, on n’a pas le temps de rentrer dans les détails ! Il faut aller droit au but.
– Mais… Mais mon but c’est pas du tout ça ! »
« Le fond commence à être cramé avec le soleil couchant », le caméraman se permet d’annoncer. « Il faudrait finir bientôt ! »
Je tente de reformuler, l’intervieweuse ne lâche pas l’affaire, je la rends folle, je m’amuse à moitié, elle s’entête, ça n’en finit plus. Elle comme moi sommes épuisés lorsqu’on en a fini. En plus de cette fatigue psychologique, je n’ai pas mangé, pas dormi, et j’ai une nuit de finale qui m’attend… Mais qu’allais-je donc faire dans cette galère ? [4]
J’ai l’impression que tout ce que j’ai dit lors des précédentes interviews a été mis à la poubelle. J’y ai passé des heures et des heures, mon portrait durera 45 secondes. Si la production a un message à faire passer et que je dois en être le support, ça ne sera pas difficile ! Il suffira de récupérer des mots par-ci et par-là. Je me sens instrumentalisé. Au final, probablement dépité de ne pas avoir le contenu qu’ils attendaient, TF1 garde simplement un « Je suis chauve. C’est important. » C’est vrai, c’est important. Et ça aurait pu être pire ! Le TF1 de 1641, plus connu sous le titre de Cardinal de Richelieu, s’en était vanté : « Qu’on me donne six lignes écrites de la main du plus honnête homme, j’y trouverai de quoi le faire pendre ! » [10]
Les épreuves
L’heure du bilan
Partie 3 ici !
Références
[1]↑ Veni, Vidi, Perdidi. – Je suis venu, j’ai vu, j’ai perdu. Jules César devant le parcours de Ninja Warrior
[4]↑ « Que diable allais-je faire dans cette galère ? » Je ne saurai pas répondre. Mais la réponse est probablement à aller chercher du côté du père de Léandre, qui ne sait rien dire d’autre dans les Fourberies de Scapin de Molière. http://www.ralentirtravaux.com/lettres/textes/theatre/fourberies-scapin.php
[8]↑ Pastiche du sketch « Moi ça va » de Coluche. « Je suis content d’être français hein ! D’abord parce que je suis français, et puis parce que j’aime bien être content. » https://youtu.be/l6LPnXbOfys?t=168
[9]↑ Entrevue avec Coluche pour les présidentielles de 1981. « Ouais mais ça c’est comme si vous disiez à un mec qui a pas un rond, qu’est-ce que tu ferais si t’avais un milliard ? De toute façon vous allez pas lui donner le milliard, alors y a aucun problème. Je serais jamais élu président de la république, et puis je veux pas en plus ! » https://youtu.be/doSIydUeQns?t=208
[10]↑ « Qu’on me donne six lignes écrites de la main du plus honnête homme, j’y trouverai de quoi le faire pendre ! » Le Cardinal de Richelieu n’était pas un drôle, on le réfère parfois comme le Machiavel français. Il a fait énormément de bien à notre fier royaume de France.
Pingback: Un Ninja de l'ombre sous les feux de la rampe [1] - David Pagnon
Pingback: Un Ninja de l'ombre sous les feux de la rampe [3] - David Pagnon