Mes réticences à participer à Ninja Warrior [cet article, précédé de celui-ci].
Le casting de Ninja Warrior [Partie I sur mon organisation catastrophique, et Partie II sur le Casting]
Un Ninja de l’ombre sous les feux de la rampe
« Veni, vidi, perdidi. » [1] Jules César devant le parcours de Ninja Warrior
Mon arrivée
Le ninja est le soldat de l’ombre par excellence. Ce soldat est-il toujours ninja lorsqu’il est exposé aux feux de la rampe ?
L’étiquette de « Ninja Warrior », définitivement ça ne me correspond pas. Pour commencer, les Ninjas n’étaient pas soumis au bushido (code d’honneur japonais) et étaient très souvent mandatés pour perpétrer les crimes inavouables des grands seigneurs aux mains sales. Ensuite, Warrior signifie guerrier, et si j’admets que l’idée de faire la guerre me galvanise, j’ai quelques réticences morales à en faire l’apologie. Je préférerais l’étiquette de « Samouraï Pacifiste » peut-être. Ça correspondrait mieux à mes convictions. Mais l’émission « Samouraï Pacifiste » n’existe malheureusement pas encore. Faute de grives, on mange des charognes.
Maintenant que j’ai bien joué le rabat-joie, voici un retour sur mon expérience à Cannes en tant que participant de Ninja Warrior !
Ça commence de façon tout à fait soporifique, avec les trois trains de rigueur pour voyager de Grenoble à Cannes. J’y trompe l’ennui avec une famille maghrébine très sympathique, qui n’en finit pas de me remercier pour mes services et qui m’offre à manger jusqu’à plus soif. En effet, dans ma mansuétude j’ai daigné faire l’offre magnanime de soulever leurs bagages jusqu’au plancher du train. Une offre pourtant refusée, ces gens là ayant autant d’huile de coude dans les biceps que d’huile d’olive dans la cuisine. Toujours est-il qu’ils m’en étaient reconnaissants au delà de toute mesure, ce qui est toujours agréable.
Un conseil pour vous tous qui voulez vous faire des amis : cherchez attentivement quelqu’un qui ait l’air d’aller très bien, proposez lui un service anodin – rien de trop difficile, des fois que la personne accepte. En principe elle va refuser, mais vous remerciera de l’offre. Le dialogue sera engagé, et c’est ainsi que vous débuterez une profonde amitié du bon pied sur un coup de main. Attention, si votre procédure est trop approximative, la réaction peut se muter en un bon coup de pied avant le lendemain.
Il me semble que je digresse avant même d’avoir commencé. Ça va être long les amis, ça va être long ! Je suis donc sélectionné pour Ninja Warrior, probablement plus pour mon profil atypique [2] que pour mes capacités physiques – en effet, des amis certainement plus forts que moi n’ont pas été retenus. Il faut croire que la production a paradoxalement été séduite par un personnage qui n’aime pas la compétition, qui leur a affirmé ne jamais avoir regardé l’émission, et qui finit sa nuit dans la salle d’échauffement [3]. Pour entrer totalement dans le personnage, j’arrive deux jours après le début du tournage : en effet, je donne un spectacle que je ne veux pas annuler. Que diable allais-je faire dans cette galère ? [4]
J’arrive en fin de journée sur les lieux, dans cette somptueuse villa Francia située sur les hauteurs de Cannes, dont la vue qui surplombe la vieille ville et la mer est à couper le souffle. Un appartement de plusieurs étages pour moi tout seul, un confort inouï, une piscine… Ça y est j’y crois, je suis une star. M’enfin bon, tout ce luxe je ne sais pas comment m’en servir, j’aurais préféré dormir dans un cagibi (avec internet) et voir mon aller-retour et ma nourriture défrayés. Je ne crache pas dans l’appartement pour autant ! Dans la même veine, les interviews auront lieu tour à tour sur le toit d’un hôtel 8-9 étoiles, ou au sommet du palais des festivals de Cannes. Grosses injections d’égo en perspective, il faudra préparer l’antidote.
Le personnage
J’ai donc probablement été sélectionné davantage pour mon côté décalé que pour mon agilité. C’est de la télé, c’est de l’esbroufe ! Du capitalisme à l’état pur, où la monnaie se mesure en unités d’audimat. L’important est d’offrir un savant mélange d’athlètes et de personnalités médiatiques, assorti de quelques cas sociaux. Je vous laisse deviner à laquelle de ces trois catégorie j’appartiens…
Au nombre des athlètes figurent le nageur émérite Frédéric Bousquet, des membres de l’équipe de France d’escalade, la perchiste Chloé Henry (8 fois recordwoman nationale de saut à la perche, et accessoirement ayant été en lice pour les JO… de gymnastique artistique), quelques autres athlètes internationaux. Également des anciens de Ninja Warrior comme la plupart des finalistes français de l’année dernière, et celui qu’on nous annonce comme grand favori, le Canadien Sean McColl.
Du côté des célébrités, il y a le youtubeur Wass Freestyle, les vainqueurs de Koh Lanta Benoît et Jesta, le vainqueur de Secret Story Julien Geloën… Et puis des gens qui sont clairement là pour le plaisir des yeux comme Miss France et Mister France, ou la Mathilde au physique ravageur, et des fitboys et fitgirls en pagaille.
Il y a également des personnes qui sont clairement là pour le spectacle, déguisées en power rangers ou en supporter marseillais, ainsi que des personnalités attachantes. Entre autres, la fratrie bien soudée des trois Trébuchon, un jeune et sa mère en léger surpoids, un Jean-Claude Van Damme vietnamien adopté dont l’histoire est aussi touchante que délirante (j’en parlerai un peu plus dans la suite). Aussi, le vainqueur de cette édition, le grimpeur émérite Thomas Ballet que la télévision a préféré présenter comme un célibataire désespéré – ce qui lui a vallu plus de 1000 demandes d’ajout facebook dès le premier soir.
À côté de tout ça il y a moi, qui joue de la flûte pieds nus dans mon hamac. Moi, qui ne suis même pas au courant que les gens qui m’entourent sont des stars. Que diable allais-je faire dans cette galère ? [4]
Le rôle qu’on me propose de jouer me correspond assez bien, je l’accepte avec plaisir. Je suis censé être un aventurier en voyage, qui passe par là par hasard et qui saisit cette opportunité de se lancer un nouveau défi. Les faits ne calquent pas parfaitement à la réalité, mais l’esprit est là : dans la vraie vie je suis revenu du Liban en autostop [5], je ne me suis jamais entraîné spécifiquement à Ninja Warrior, et je n’aime pas la compétition [6]. On a le personnage, maintenant il faut des images pour donner un support à cette histoire ! Je dois donc me prêter par deux fois au jeu des caméras.
La première vidéo devra respirer la sérénité. Là où d’autres participants doivent faire une démonstration de force, mon rôle se limite à me balader pieds nus et en sarouel dans la forêt, à placer mon hamac dans un arbre, à m’y allonger et y jouer de la flûte. Un tableau bucolique et apaisé, tourné à 15 mètres de la route par l’excellent Virgile. Une scène très simple. Mais Léonard de Vinci n’a-t-il pas dit que « La simplicité est la sophistication suprême » [7] ? La seconde vidéo change un peu le ton. Je suis toujours dans la nature, mais cette fois-ci je dois y montrer ma préparation physique. Christophe (le nouveau vidéaste) et moi nous dirigeons vers le plan d’eau municipal. C’est déjà de mauvais augure : l’eau est toujours bien fraîche en ce mois d’avril ! Sous les commentaires d’un caméraman encourageant par son enthousiasme bouillonnant, je cours dans l’eau, je grimpe dans les arbres et plonge dans la rivière, je fais quelques acrobaties dans la terre humide… Et j’ai froid. Vraiment froid.
Tout tremblant, trempé jusqu’aux tripes, triste trublion trébuchant vers le trépas, je finis le tournage avec une chair de feuille d’anthologie, tremblant comme une poule. J’en perds mes mots, en tout cas il fait un froid de canard. À piétiner dans la boue, j’en trouve des associations vaseuses : moi qui marche sans chaussures, ça me fait bien les pieds ! Mais que diable allais-je faire dans cette galère ? [4]
Laissons mon cerveau abêti reprendre un peu de poil de la bête. Certes cette après-midi est éprouvante, certes la finale est le lendemain, mais si j’en crois le vidéaste ces images s’annoncent magnifiques ! Et au final, ces portraits me plairont probablement bien plus que mes prestations sur un parcours lisse et convenu. Et puis un peu de sport cette semaine ne sera pas de refus – n’oubliez pas que notre parcours à Ninja Warrior se limite à 2 minutes d’effort par jour, soit infiniment moins que ce que je m’inflige habituellement avec la plus grande des passions. Je commence à être en manque, mes gestes en deviennent fébriles et saccadés.
Les journées
Les épreuves
L’heure du bilan
Partie 3 et Bilan ici !
Références
[1]↑ Veni, Vidi, Perdidi. – Je suis venu, j’ai vu, j’ai perdu. Jules César devant le parcours de Ninja Warrior
[2]↑ Oui oui, atypique tout ça tout ça.
[3]↑ Récit du casting, où j’ai effectivement rattrapé ma nuit dans la salle d’échauffement. http://david-pagnon.com/fr/mode-demploi-pour-une-vie-chaotique-2
[4]↑ « Que diable allais-je faire dans cette galère ? » Je ne saurai pas répondre. Mais la réponse est probablement à aller chercher du côté du père de Léandre, qui ne sait rien dire d’autre dans les Fourberies de Scapin de Molière. http://www.ralentirtravaux.com/lettres/textes/theatre/fourberies-scapin.php
[5]↑ Je suis revenu du Liban en stop, en hiver, et en tente. Une sacré aventure ! J’ai écrit tous les jours à ce propos et cherche d’ailleurs à publier ce texte. Petite bouteille à la mer pour les potentiels éditeurs qui passeraient par là ! http://david-pagnon.com/fr/ecrits/une-tente-un-pouce/
[6]↑ La vie est selon moi assez difficile pour qu’il vaille la peine de s’aider les uns les autres plutôt que se battre entre nous. La vie est un tétris, pas un jeu d’échecs. Plus dans cet article, et dans celui-ci.
[7]↑ Léonard de Vinci n’a-t-il pas dit que « La simplicité est la sophistication suprême » ? Réponse pour les curieux : si il a dit ça.
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