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David Pagnon

Démantèlement sauvage de paisibles migrants

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Démantèlement sauvage de paisibles migrants

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Un texto

Mardi soir, 23h, je reçois un texto : « Rendez-vous demain matin à 6h pour les motivés, il y a des chances que le campement de Flandrin Valmy soit démantelé ».

6h du matin, en pleine nuit, devant la rigueur du froid du froid hivernal de Grenoble… Je suis moyen motivé. Disons moyen chaud. Mais il faut dire que le jour même j’ai pris à témoin plusieurs personnes, leur partageant le sentiment de culpabilité qui me submerge à chaque fois que je passe devant tous ces immigrés. De pauvres hères qui logent dans des tentes de fortune en plein hiver. Des personnes qui ont dû quitter leur pays pour des questions de vie et de mort, et qui lorsqu’elle arrivent enfin sur notre « belle terre d’accueil » française, se retrouvent en paix, dans une tranquillité absolue, seuls au milieu d’une foule aussi bien nantie qu’indifférente. Eh bien apparemment, je ne suis pas le seul à avoir été interpellé à la vue de ce camp. Certains cherchent à agir concrètement et passent tous les jours, donnent des couvertures, de la nourriture et de l’attention.

Certains autres trouvent que cette misère gâche leur paysage quotidien. Une plainte est déposée pour « trouble à l’ordre public ». C’est vrai que des tentes posées entre un stade et une grosse route nationale, ça ne fait pas propre. Personne ne dira le contraire, sauf ces enfoirés de gauchos qui ne comprennent pas qu’on puisse vouloir rester tranquille dans notre monde chaud et douillet. Malheureusement, une forêt qui pousse fait moins de bruit qu’un arbre qui tombe, et un soutien moral fait moins de bruit qu’une plainte en justice. C’est donc cette dernière qui l’emporte, et la nouvelle tombe – en toute discrétion : le campement sera démantelé ce mercredi matin. C’est comme ça que le monde avance.

Je dois admettre qu’il existe une certaine pointe de sarcasme dans mes propos. Toujours est-il que je viens d’exposer en long et en large mon désespoir de me voir impuissant face à la misère, et que le soir même on me donne une occasion de me rendre utile. Plus d’excuse. Encore un coup du destin, et comme chacun sait, nul ne peut se soustraire au mektoub ! À 3h du matin je mets donc mon réveil pour 5h30.

 


QUand faut y aller…

5h30. Réveil. Si mes neurones répondaient à l’appel, il calculeraient un temps de sommeil d’environ 2h30. Ils n’en sont heureusement pas capables, mais mon corps et mon esprit partagent la même impression. Je n’ai pas assez dormi. Du nerf ! C’est aujourd’hui que je vais sauver le monde.

Quelques minutes de vélo plus tard, je me retrouve au campement, au milieu d’une foule aussi engourdie que moi, assez distinctement partagée entre Albanais et Grenoblois. Je vais au nouvelles. Quelles sont les informations ? Quel est le plan ? Les nouvelles sont plutôt vagues, les autres Grenoblois ont dû recevoir le même texto que moi. Certains m’apportent des informations un peu plus positives toutefois. Le camp va certes être démantelé, mais tous les demandeurs d’asile vont être relogés. L’idée serait de démonter les tentes et de les ranger, pour qu’elles ne soient pas détruites au tractopelle.

Hauts les cœurs, allons-y donc gaiement ! Qu’est-ce qu’on attend ? « C’est bizarre, les réfugiés n’ont pas l’air de vouloir démonter. » Mais ils sont au courant au moins ? L’information n’a pas l’air de très bien passer, malgré des tentatives de dialogue isolées. C’est un reproche général que je ferai aux personnes impliquées : il y a énormément de volontés, mais pas de porte parole. Beaucoup de feux follets enthousiastes, mais pas de brasier durable.

Bon, je prends à partie l’un des réfugiés qui a l’air d’avoir compris la situation, on démonte une tente, puis une autre. Et deux Français viennent à me dire :

 » En fait ce n’est pas sûr que le camp soit démantelé, quelqu’un a téléphoné au service social de la mairie hier, ils n’étaient apparemment pas au courant.
– Ah bon ? Mais qu’est-ce que ça veut dire ?
– Bah, peut-être que la police est juste passée pour mettre un coup de pression, et espérer que les réfugiés se dispersent d’eux-même. [Pause] Mais c’est quand même bizarre qu’ils soient venus à trois camions et deux véhicules banalisés… Ceci dit c’est déjà arrivé.
– Bon. Donc l’idée, c’est de remonter les tentes que je viens de démonter ?
– C’est ça. Et si vraiment la police arrive, à 50 personnes on aura vite fait de tout démonter ! »

Certes. Je me sens bête, avec ma fougue mal placée.
Je remonte les tentes, et rentre dans le rang. J’attends avec les autres que l’heure tourne, essayant de rester sourd à l’appel de mon lit. Le temps passe, toujours rien. Certains commencent à partir au boulot, ou à rentrer chez eux. On doute de plus en plus sérieusement qu’une quelconque action soit menée aujourd’hui. En plein jour il y a peu de chances qu’une affaire aussi sujette à controverses ait lieu. Heureusement qu’on ne m’a pas laissé démonter tout le camp ! Il aurait fallu tout remonter dans la journée, avec 5 fois moins de participants. On redoute toutefois que ce soit une blagounette rigolote de la police, qui aurait fait en sorte de nous placer sur le qui-vive aujourd’hui, pour mieux agir un autre jour lorsqu’elle sera sûre que notre vigilance sera suffisamment émoussée. L’histoire de Pierre et le loup.

Ah !

À 8h, alors que mon sentiment d’inutilité atteint son paroxysme, les choses prennent un nouveau tournant. Des camions de police arrivent. Ils vont probablement pouvoir nous en dire plus !

 » On vient pour l’opération de relogement des réfugiés !
– Ah c’est très bien ça ! Vous allez tous les reloger, sans exception ?
– Ça on ne sait pas… Les services sociaux sont passés et ont dressé une liste, on espère qu’ils sont tous dessus !
– Mais je ne comprends pas, ils seront tous logés indéfiniment dans des hotels ?
– Indéfiniment non bien sûr, mais au moins jusqu’au 18.
– Jusqu’au 18 ?? Laissez-moi vérifier. C’est bien ça, nous sommes le 14. Vous n’étiez peut-être pas au courant puisque la nouvelle vient de tomber, saviez-vous que le 18 décembre nous serons toujours en plein cœur de l’hiver ?
– Ils seront progressivement relogés autre part, ne vous en faites pas.
– … Bon quoi qu’il en soit il faut qu’on range les tentes, parce que si certains ne sont pas sur la liste, ou se trouvent à nouveau à la rue dans 4 jours, le minimum serait de leur laisser une chance de conserver un peu de cette insalubrité précaire – mais salutaire.
– Oui bien sûr ! En attendant on va faire l’appel, donc s’il vous plait mettez-vous d’un côté, et les demandeurs d’asile de l’autre. »

Ou comment couper en toute diplomatie la communication entre réfugiés et citoyens. Quelques minutes, sans avoir compris comment s’est laissés mener là, on se retrouve relégués derrière les camions de police, séparés du cœur de l’action par une rubalise blanche et rouge. Avec des nouvelles du front plus que fragmentaires, et l’interdiction d’aller s’enquérir de la situation en personne. Les réfugiés, une fois recensés, n’ont plus le droit de rentrer dans le périmètre.

 » Et comment ça se passe du coup ? Est-ce que les réfugiés sont au courant de ce qu’il est en train de se passer ? Est-ce qu’ils savent que ce n’est pas une solution à long terme ? Est-ce qu’on peut les aider à ranger leurs affaires ?
– Il y a deux interprètes pour ça.
– Ah d’accord. Où est-ce que je peux les trouver, pour leur faire part de la situation telle qu’on la connait ? Les réfugiés sont un peu perdus, ils ne sont probablement pas à même de donner toutes les informations.
– Demandez au commissaire ! C’est le mec avec un képi.
– Ok merci ! »

Je m’en vais trouver le commissaire :

 » Bonjour, je cherche les interprètes, est-ce que vous savez où ils sont ?
– Ils sont rentrés chez eux.
– Ah bon d’accord ! Ils ont échangé 4 mots avec les réfugiés, et ils considèrent que le travail est terminé ? Bon. Passons. Est-ce que vous pouvez nous laisser entrer dans le périmètre pour démonter les tentes et récupérer les couvertures ?
– Pardon décalez-vous. Toi tu vas là, et toi recule un peu le camion. On va commencer à blablabla. »

Autant dire qu’il ne m’écoute plus du tout.

C’est le moment où les services de la mairie arrivent, avec des hommes en combinaison bleue, un bulldozer et deux bennes à ordure. Un bulldozer ? Oui, un bulldozer. J’ai du mal à y croire. Ils ne vont pas massacrer tout ça sans état d’âme ?! Et si, la preuve en image.

Trois factions donc : la mairie, les réfugiés, les citoyens ; séparées par la police. Aucune d’entre elles n’ayant de lien avec l’autre. La police ne fait qu’appliquer les ordres, une routine de répression bien rodée face à laquelle eux-mêmes sont sans recours. J’apprends que la mairie a appris la nouvelle ce matin en arrivant au bureau, elle a eu ordre de la préfecture d’aller démanteler ce lieu de vie – ou de survie. Les réfugiés ne comprennent rien, ils sont vaguement excités à l’idée d’avoir un logement au chaud. Mais ils ne savent pas qui y aura droit, ni pour combien de temps. Ils n’ont en fait même pas idée que la question se pose. Les citoyens mobilisés se trouvent spectateurs navrés, impuissants.

Première tente en démolition. Nous regardons les employés faire, impuissants derrière le cordon de policiers.

Première tente en démolition. Nous regardons les employés faire, impuissants derrière le cordon de policiers.

Je n’arrive pas à participer à un débat sur les chances de notre équipe de foot en championnat. Je n’arrive pas non plus à rester de marbre devant ce spectacle désolant. La nouvelle est supposée être bonne ; mais l’équation comporte bien trop d’inconnues pour se réjouir. Dans tous les cas, détruire des tentes et des couvertures au bulldozer, ça me semble un tantinet excessif ; et puis je n’aime pas le gâchis. J’essaie de transcender mon abattement de spectateur en une impulsion d’acteur. Et là commence une série d’allers-retours surréalistes, d’un interlocuteur inaverti à un exécutant réticent. Je me démène comme dans un pétrin d’inertie, dans un tourbillon d’inefficacité.

À la police :

 » Excusez-moi, est-ce qu’on peut entrer pour démonter les tentes ?
– Je ne pense pas que les services de la mairie acceptent, il faut un périmètre de sécurité autour du bulldozer.
– Je vais leur demander ! »

Aux employés des espaces verts de la mairie :

 » Bonjour, est-ce qu’on pourrait démonter les tentes et récupérer le matériel avant que vous ne le mettiez à la benne ?
– Ah, ça je sais pas ! Il faut voir avec la police, mais vue la façon dont ils ont délimité le terrain j’en doute !
– Bon, je vais demander au commissaire. »

Au commissaire, alors que ce lent et inéluctable travail de destruction a déjà commencé :

– Re-bonjour, on voudrait démonter les tentes rapidement, est-ce que vous pouvez demander à vos hommes de nous laisser passer ?
– Demandez au chef des services de la mairie s’il est d’accord ! C’est le monsieur qui a un chapeau de cow-boy. »

Au chef, vers lequel je me rue en courant, exaspéré par cette inertie qui sappe mes efforts :

 » Bonjour, c’est apparemment vous le responsable des opérations. Nous aimerions récupérer le matériel avant qu’il ne soit détruit, pourriez-vous en parler au commissaire pour qu’il nous laisse faire ? »
Il me serre chaleureusement la main, l’air sincère, tandis qu’une femme est en train de pleurer à mes côtés. Elle aussi est désespérée par la destruction de cet espace de fortune tout relatif que ces réfugiés, avec peine, ont réussi à se construire.
 » Je suis tout aussi désolé que vous, j’aimerais pouvoir agir, mais je ne suis que l’adjoint aux espaces verts ! Les ordres ne viennent même pas de la mairie mais de la préfecture… »
J’ai le sentiment, peut-être naïf, qu’il serait heureux de fermer les yeux si nous forcions l’entrée.

Aux personnes mobilisées :

 » Pourquoi est-ce qu’on ne fait rien ? Plutôt que de s’indigner de ce massacre et d’observer la police en chien de faïence, on pourrait entrer en masse avec les réfugiés, et à deux par tente en 5 minutes c’est fait !
– Oui mais la police ne nous laissera pas entrer.
– D’accord, mais la police reçoit ses ordres de la mairie, qui les reçoit de la police, qui ne sait pas d’où elle les reçoit. On se sclérose dans un bourbier incroyable, il y a un moment où il faut agir ! »
J’ai l’habitude des discours ACAB (all cops are bastards), qui ont tendance à me laisser dubitatif, comme face à un sigle répété mécaniquement. Les personnes concernées me semblent pas moins formatées que le monde ambiant contre lequel ils ont l’illusion de se mobiliser. Mais là, je suis forcé de trouver qu’on manque sérieusement d’audace, voire de courage… On mouline dans la semoule.
 » Il n’y a vraiment rien à faire ?
– Si, il faudrait aller à la mairie manifester.
– D’accord mais avant ça, on ne fait rien pour tout le matériel ? On ne fait rien pour s’assurer qu’en cas de coup foireux les réfugiés aient au moins quelques toiles de tente et des couvertures ? »

Aux réfugiés, en un mélange de langage corporel, d’anglais, et d’italien (je ne parle pas italien) :

 » Est-ce que vous voulez qu’on récupère les tentes et les couvertures avec vous ?
– Oui mais on n’a plus le droit de rentrer… C’est pas très grave, on va être logés !
– Tous ? Même les hommes célibataires et ceux qui n’ont pas de papier ?
– C’est bon, tout le monde ! »
Dieu merci, par une contingence de je ne sais quelle bonne fortune, tous ont leurs papiers en règle. Je pense qu’on peut en attribuer les honneurs aux services sociaux et aux bénévoles. Peut-être aux faussaires également, qui en ont probablement fait leurs choux gras.
 » C’est quand même important de récupérer vos affaires, le 18 décembre sera vite là !
– 18 ? 18 décembre ?! Et après ?
– Après, on sait pas !…
– On sait pas ??!… »

Je constate que les interprètes ont mal fait leur boulot, ou que la version des faits qui leur a été demandé de traduire aux réfugiés était autant partielle qu’édulcorée. Effectivement, si la police vient pour nous sortir de notre froide morosité et nous loger dans des hôtels chauffés, pourquoi ne pas être enthousiaste ?

Le ressenti est légèrement différent quand on sait que ce coup d’éclat n’est que temporaire, comme une caresse pour mieux frapper. D’autant plus lorsqu’on voit ses seuls espoirs de survie en extérieur se faire lacérer par les griffes d’un monstre mécanique. Il est trop tard maintenant, tout est concassé dans les bennes, il n’y a plus rien à récupérer. Reste à voir comment s’organise la suite.

Aux services sociaux du CCAS (Centre communal d’action sociale) :

 » Bonjour, vous me confirmez bien que tout le monde sans exception va être logé ?
– Oui, on est en train d’appeler les hôtels pour les distribuer ! Mais tout le monde va être logé, on s’en assure.
– Génial ! Combien de temps ?
– Ça, malheureusement, on ne sait pas… »

Je ne veux pas plus les embêter, je sais à quel point la vie d’un travailleur social est difficile. Et comment ! J’ai passé 4 heures à tenter d’improviser ce rôle, je n’en peux déjà plus. J’ai eu la désagréable impression de me démener comme un papillon dans une toile d’araignée, gaspillant son énergie pendant que l’araignée le regarde tranquillement s’épuiser tout seul. Je comprends de mieux en mieux comment dans des sables mouvants, seuls les mouvements les plus lents peuvent autoriser un espoir de survie. Les sursauts convulsifs ne font que précipiter la noyade. Alors une vie entière dédiée à lutter contre une fatalité sombre et inexorable, il y aurait de quoi en rendre fou plus d’un.

 » Est-ce qu’on peut malgré tout faire quelque chose ?
– Éventuellement, une fois que nous aurons réussi à trouver des places pour tout le monde, vous pourrez les conduire jusqu’à leurs hôtels. Ils ne sauront sûrement pas comment s’y diriger, ça leur sera d’une grande aide !
– D’accord, on essaie de faire passer le mot ! »

J’apprends par la suite que le CCAS, comme la mairie, a été averti le matin-même de cette action. À peu de choses près, le camp aurait donc été troqué contre un mortel néant. J’apprends également que ce travail de relogement n’est pas censé dépendre de cet organisme, mais de la la préfecture et du conseil départemental pour les familles avec petits enfants. La préfecture, qui puisqu’elle a elle-même ordonné ce démantèlement, n’a pas l’excuse de ne pas être au courant…

 


 

Où je comprends que je suis inutile

Voilà pour l’histoire.
Tout est bien qui finit bien ? Ça reste à vérifier…

Les réfugiés sont sauvés pour quatre jours. En revanche, ils sont maintenant dispersés aux quatre coins de la ville, et ne peuvent plus si bien exercer cette solidarité naturelle. Par ailleurs, si après cette courte période il ne leur est pas proposé de solution, ils n’auront plus le loisir de retrouver leurs tentes, leur seul espoir de survie.

Le droit au logement est pourtant un droit constitutionnel, découlant des alinéas 10 et 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 :

10. La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement.
11. Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. […]

Par ailleurs, la loi Besson du 31 mai 1990 affirme que « garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la nation« . Malheureusement, dans les termes où a été rédigée la loi, « ce droit ne signifie pas que la nation a l’obligation de fournir un logement à toute personne qui en fait la demande, mais qu’elle doit apporter une aide, dans les conditions prévues par ladite loi, aux personnes qui remplissent les conditions pour en bénéficier » (Wikipédia, droit au logement). La notion de droit au logement opposable (DALO) fait tout de même son chemin grâce à diverses initiatives, notamment l’institution gouvernementale du « Haut comité pour le logement des personnes défavorisées ». Au delà « de l’obligation de moyens imposée par la loi Besson, [le DALO propose] de créer une obligation de résultat ». Évidemment, cette proposition rencontre de nombreuses oppositions.

Je sais que la France va mal, qu’on n’a pas l’argent ni les moyens d’accueillir toute la misère du monde. En revanche, je sais qu’il existe plus de logements vacants que de demandeurs d’asiles. Je sais que les structures institutionnelles, si elles agissent souvent avec la meilleure volonté du monde, sont confrontées à des lourdeurs administratives qui rendent leur travail aussi laborieux que démoralisant. En revanche, je sais que des milliers de personnes ne demandent qu’à être associées à ces forces, ou en tout cas d’avoir l’autorisation d’aider leur prochain.

Il y a des solutions. Il y a même des solutions à moindre coût. Il y a des personnes qui se sentent concernées par le sort des défavorisées. Il y a des services qui dédient leur vie professionnelle à ces causes. Mais toutes ces belles énergies sont consumées par les institutions, qui pourtant sont là pour servir les mêmes but.

Clairement, aujourd’hui la police nous a empêché de porter assistance à des personnes en ayant besoin. Et les autres institutions n’ont eu de cesse de nous mettre des bâtons dans les roues, par un travail de sape aussi patient que désespérant, et pourtant pas volontaire. Les messages ne sont pas passés, la fatigue et l’exaspération ont monté. Nous nous entretuons, alors que nous poursuivons tous les mêmes idéaux. Tous en sont sortis entre la colère et les pleurs, entre rage et désespoir.

 


Mon analyse à deux balles

Voici maintenant mon analyse à 2 balles, en tant que personne qui n’avait aucune idée de la situation avant ce matin. Une analyse partielle, potentiellement fausse, mais potentiellement bénéficiant du recul d’un novice au regard extérieur.

Toutes ces histoires ne sont de la faute de personne. La mairie suit les ordres, la police suit les ordres, les services sociaux et les particuliers cherchent à faire tampon. La préfecture donne les ordres suite à certaines plaintes anecdotiques, et reçoit aussi des ordres de la part de personnes trop haut placées pour avoir la moindre idée de la réalité du terrain. Ce n’est la faute de personne, autrement dit c’est la faute de tout le monde.

Je donne peut-être l’impression, dans ce témoignage, de cracher sur tout le monde. Ce n’est absolument pas mon objectif. Cependant d’un point de vue extérieur, la police a fait le sale boulot, la mairie était complice, les personnes à la ronde ne venaient que pour profiter du spectacle, et le CCAS a fait un travail à la va-vite. Il ne vient pas à l’esprit de celui qui tombe sur cette scène qu’au delà de tous ces acteurs qui se désespèrent d’être impuissants, et pire encore d’être considérés comme inactifs, que la cause se situe plus haut : au niveau de la préfecture.

Pour cette raison également, je pense qu’il est important de communiquer, à la fois sur le rôle des différents acteurs, mais aussi sur l’opacité de ces actions pour un regard extérieur. Je préfère donc ne pas oblitérer la réaction naturelle que tout un chacun peut se faire, justement pour mieux mettre en avant qu’il y a plus que les apparences
  • Du côté des exécutants institutionnels :
    Ils sont soumis à une autorité supérieure, à laquelle ils doivent une obéissance aveugle. Or, l’avantage de l’obéissance aveugle c’est qu’elle permet une efficacité à grande échelle. Sans une certaine dose d’obéissance aveugle, il faudrait passer des heures à expliquer ou justifier toutes actions à toutes personnes ; et notre système est bien assez lent comme ça. L’inconvénient de l’obéissance est aveugle, c’est qu’elle permet aussi l’efficacité à grande échelle sur des mesures injustes, émises de la part de personnes qui vivent dans un monde complètement déconnecté du réel. L’obéissance aveugle décourage les remises en question. Elle réduit les agents au rang de pions. Et des pions ne vont pas réfléchir avec le camp adverse pour vérifier si la tour a bien usé de procédés cavaliers. C’est avant tout cette obéissance aveugle que je trouve dangereuse.

 

  • Du côté des travailleurs sociaux :
    Les professionnels de telles institutions se battent avec toute leur énergie pour des causes éminemment nobles. Mais ils n’en font pas moins partie d’une institution, avec les lourdeurs et lenteurs que ça implique. Plus justement, c’est avec les reliquats de leur énergie que les travailleurs sociaux se battent. Des restes difficilement sauvés des éprouvants passages de barrières invariablement posés à chaque étape de travail. Il est impossible d’atteindre ses objectifs face à un tel système. Il faudrait donc un dialogue entre les acteurs institutionnels et les collectifs : là où l’un dispose de puissants leviers, l’autre possède l’avantage du nombre et de la réactivité.

 

  • Du côté des citoyens :
    Ils sont pleins de belles idées, mais manquent de cohésion. Il faudrait un collectif global regroupant les diverses initiatives, avec un porte parole vers lequel se tourner. Une personne qui rassemble toutes les informations, et les transmette à tout le monde. Une personne qui sache lancer la machine, la dégager de son inertie. Une personne qui soit capable de mutualiser ces petits feux follets, pour les transformer en un brasier ardent et grondant.

 

Noël est une magnifique période pleine d’espoirs, qu’il faut absolument conserver. Malheureusement, c’est également un symbole de désillusion chez beaucoup de personnes. Pour ma part, j’aurai appris que faire un don de 6 heures de sommeil ne suffit pas à changer le monde…

 


 

Si certains lisent ce texte et peuvent me faire une liste des associations et collectifs au sein desquels il est possible de s’impliquer, je serais heureux d’éditer mon article pour en partager le contenu.

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