Été 2015
Partie 0/4
Le début d’une longue aventure !
Illustré par cet album (Espagne) et par celui-ci (Écosse).
Partie 0/4 ; Partie 1/4 ; Partie 2/4 ; Partie 3/4 ; Partie 4/4 ; Partie 5/4 ; Partie 6/4 (pas facile de compter au delà des quatre doigts d’une main).
Le contexte
Soyons bref. Je n’ai pas le temps de m’épancher, la batterie de mon ordinateur ne va pas durer toute la nuit. Tant pis pour les fautes de frappe, tant pis si mon clavier rend l’âme.
Pour préciser la situation, certaines touches ne fonctionnent plus, ou seulement par intermittence. Entre autres, le ‘o’ et le ‘t’. Le genre de désagréments qui vous fait confondre un grand black (« Othello ») avec l’enfer (« hell »), qui réduit un « atome » à une « âme », et qui annihile purement et simplement le pauvre Toto. J’utilise donc un utilitaire qui me permet d’utiliser d’autres touches moins courantes comme les parenthèses ou le Ç cédille pour écrire ces lettres. Fonctionnel certes, mais pas pratique lorsqu’on veut écrire au fil de ses pensées.
Par ailleurs, je suis actuellement calé sur le toit d’un petit bâtiment du parc Maria Luisa de Séville, où je vais passer la nuit avant de recouvrer une apparence plus civile pour présenter le résultat de mes recherches scientifiques dans le cadre d’une conférence internationale. J’ai en effet été victime d’un lapin assez fâcheux, et je ne suis finalement plus logé par le traceur qui me l’avait proposé. Je ne m’en plains pas pour autant: le toit que j’ai trouvé est juste assez facile à grimper pour que je puisse y monter avec tout mon barda, et juste assez difficile pour que les gens ne s’imaginent pas qu’on puisse avoir l’idée d’y établir domicile. Les arbres alentour le couvrent d’une ombre, luxe qui n’est pas de refus dans cette ville chauffée à 50°C jusqu’à 20h… Comble de la cerise sur le gâteau, il est plat et pourvu de rebords assez hauts pour cacher mes affaires lorsque je m’absente pendant la journée. Une situation parfaitement normale en effet, je devance la remarque qui vous brûle les lèvres.
Bref, bien que les circonstances ne jouent pas en la faveur d’une rédaction exhaustive, ces petits malheurs font partie de ma vie et je ne veux pas les oublier. Voici donc une liste de listes, format communément reconnu comme le plus rébarbatif à lire. M’enfin, j’ai déjà trois semaines de retard sur les événements que je veux décrire, c’est l’occasion où jamais pour tout bâcler !
Bonne lecture donc.
Les prévisions
Allons-y pour le programme prévisionnel du week-end en question, où j’arrive déjà bien fatigué.
- Vendredi:
La fédération de parkour est sollicitée sur un tournage dans la Drôme pour le tour de France. Les cyclistes passeront aux alentours d’un spot naturel appelé le Claps, assez particulier pour que la presse souhaite s’y attarder et nous y proposer un petit reportage. La configuration de ce lieu fut définitivement établie en 1442, lorsque tout un pan de montagne s’est désolidarisé du reste. L’ensemble a glissé jusqu’au fond de la vallée, se fragmentant en de multiples blocs jusqu’à ce qu’il en résulte ce que nous connaissons désormais : un chaos de rochers que nous autres traceurs grimpons et sautons, entre lesquels circule une rivière où nous nous baignons, et des trous d’eau dans lesquels nous plongeons. Un paradis pour la grimpe, le canyoning, le parkour, et de manière générale pour un séjour en milieu naturel.
Super programme, bien que la pluie s’en mêle. Entre deux éclaircies que nous tâchons de mettre à profit pour le reportage, nous pouvons nous baigner dans un torrent rendu boueux par les orages des derniers jours. Évidemment, puisque j’ai une fête prévue juste après – et pas de serviette, je ne prends pas le temps de me sécher correctement. La climatisation du train aurait eu tôt fait de me rendre malade si je m’étais laissé faire…
- Samedi:
Ma sœur Joëlla passe un examen, le niveau ultime du conservatoire. J’y assiste et j’emprunte du matériel pour la filmer, l’enregistrer, et faire le montage. Il faut également que je m’occupe du montage d’une autre vidéo, mais ça attendra puisque l’après-midi je m’occupe des petits scouts, les louveteaux. Une sortie qu’il a bien sûr fallu préparer en amont… Et puis le soir, pas vraiment le temps de me reposer puisque je revois mes sœurs et leurs potes.
- Dimanche:
Le matin, j’avoue tout: la fatigue me persuade de ne pas m’extraire du lit, et je ne vais pas à l’église. L’après-midi en revanche, pas le choix. Je me suis engagé à participer à l’animation organisée par un collègue pour les 5 ans de sa fille. Le soir, il ne me reste plus qu’à profiter du temps qui m’est précieusement accordé pour organiser le mois et demi qui va suivre, où je serai tour à tour:- À Marseille et Miramas pour des spectacles,
- À Séville en Espagne pour partir à l’aventure puis présenter une conférence scientifique,
- À Miramas pour un spectacle puis dans la Drôme pour un mariage,
- À Édimbourg en Ecosse pour randonner,
- À Glasgow pour une autre conférence et pour le parkour,
- Dans les Cévennes pour un camp scout,
- À Grenoble pour aider ma mère à déménager, et
- À Toulouse et pour voir la famille.
Un casse-tête d’autant plus ambitieux que je ne veux pas dépenser des millions en train et en avion.
Et puis, puisque le sommeil c’est pour les faibles, je profite de ma lancée pour préparer mes conférences, m’atteler à une présentation bilan de mon année de recherche, et organiser une rencontre entre filles motivées pour le parkour.
Également, pour monter un projet de thèse. Fatigué d’être débordé, j’ai pourtant appelé mon encadrant de recherche il y a quelques jours. Je lui ai signalé que je préférais ne pas m’engager sur un doctorat cette année, de manière à m’accorder un peu de temps pour tenter ma chance dans le spectacle, et avancer certains projets qui traînent depuis quelques années.
Ce n’est pas faute de motivation, la recherche me passionne toujours autant. Ce n’est pas non plus faute d’efforts pour concilier les deux: j’ai mobilisé mes superviseurs potentiels de thèse, les responsables financiers, la DRH, le chef du laboratoire, la chef du département, les chefs de l’école doctorale, et jusqu’à l’administrateur de l’ensemble des universités de Grenoble. Je leur ai proposé d’effectuer une thèse en candidat libre ; ou une thèse non rémunérée (profitable au laboratoire puisque je lui apporterais des connaissances sans rien lui coûter) ; ou une thèse dont le financement serait moindre, mais étalé sur plus de temps ; ou diverses déclinaisons de ces idées dont je vous épargnerai le détail. Sans succès. Bien qu’aucune de ces personnes ne soit foncièrement opposée aux solutions que je leur soumets, ils se trouvent à chaque fois enchevêtrés dans la toile inextricable des obstacles administratifs.
Puisque je n’ai pas développé la compétence « gestion des priorités » et qu’une journée ne compte que 24h, il me faut donc faire un choix. Je me trouve actuellement face à des opportunités dans le spectacle qui ne se proposeront probablement pas deux fois dans ma vie – et dans l’éventualité où elles se présentent à nouveau, je n’aurais peut-être ni la forme physique ni la situation familiale adéquates pour honorer ces propositions. Je choisis donc de mettre le curseur sur le parkour pour l’instant.
Mon superviseur comprend que ma décision est réfléchie. Toutefois, il me conseille tout de même de remplir le dossier. « Sait-on jamais, tu changeras peut-être d’avis et tu seras bien content d’avoir rempli le dossier à temps! ». Étant donné les efforts qu’il a fait pour moi, notamment en me trouvant l’année passée un contrat initialement réservé aux post-doctorants (personnes titulaires d’une thèse de doctorat), je peux bien faire cet effort pour lui faire plaisir… Avec un peu de chance, je ne serai pas pris : la bourse sur laquelle je candidate est la plus difficile à obtenir, et les aménagements que je demande n’ont jamais été acceptés de mémoire d’homme.
Ça n’en rend pas les choses faciles pour autant. Je passe un temps fou sur une candidature certainement vouée à l’échec, pour un poste que je ne veux pas. L’ennui, c’est qu’à force de retouches, le projet commence à être relativement convaincant. Si d’aventure c’était mon dossier qui en arrivait à être choisi, je me retrouverais dans un embarras assez délicat…
La réalité
Ça, c’étaient mes prévisions. C’était visiblement trop facile. Voici donc maintenant les imprévus.
- Au retour de ma sortie avec les scouts, je n’arrive pas à retrouver mon vélo. Je tourne un quart d’heure sans succès dans le quartier, puis une demi-heure, qui se transforme rapidement une heure (rapidement, c’est une façon de parler : en réalité, l’heure met très exactement 60 minutes à se transformer en une heure. Comme d’habitude. Oui mon cher). Je dois finalement me faire à l’idée, que ma conscience a bravement tenté d’écarter le plus longtemps possible : je me suis bel et bien fait voler mon vélo. Tout à fait, deux semaines après m’être fait voler le précédent. Heureusement que ces vélos ne valent rien! En revanche, j’ai la désagréable impression d’investir plus d’argent en antivols qu’en vélos.
- Je finis par rentrer chez moi, la mine déconfite, trempé par les pluies torrentielles qui ont accompagné l’un des multiples orages ayant permis à l’Isère de récolter un nouveau record ce mois-ci. Et je passe de la déconfiture à l’accablement. Les orages sont précédés d’un temps lourd, qui m’a convaincu d’ouvrir légèrement mon vélux. Et mon ordinateur, qui se trouvait juste en dessous, a pris l’eau. Il m’inonde les pieds lorsque je le retourne… Je le mets à sécher au dessus d’une plaque de cuisson, caressant sans trop de conviction le vague espoir d’au moins en récupérer le disque dur.
- Et puis j’apprends que Joëlla a loupé son examen. Incompréhensible. Plusieurs professeurs du conservatoire ont d’ailleurs déjà entamé les démarches pour signaler que le jury est incompétent, que c’est un scandale. Tout n’est pas toujours très clair dans le milieu de la musique. Preuve en est, un des amis de mes sœurs, un génie absolu du violon dont elles aimeraient arriver à la cheville, n’a pas été pris au CNSM (Conservatoire National Supérieur de Musique). Peut-être son interprétation était-elle tant chargée d’émotion que les difficultés techniques sont passées inaperçues. Plus probablement, un certain membre du jury pourrait y être pour quelque chose. Notons par exemple la présence de l’enseignante du pôle supérieur dont il venait de passer le concours avec succès : peut-être ne voulait-elle pas laisser passer l’occasion d’avoir un tel talent comme élève?
La musique est somme toute assez similaire à la recherche. Non seulement elle demande un travail énorme pour maîtriser les bases et ainsi être capable de jongler avec les notes et les émotions – ou les concepts – sans s’encombrer l’esprit de basses considérations techniques ; mais c’est aussi un milieu d’élite, où l’élite elle-même n’a pas d’avenir. Enfin, ce qui est fait est fait, ce n’est pas ça qui va arrêter ma sœur!
- Je n’ai pas envie de dormir, et de toute façon sans ordinateur je ne peux plus travailler. J’ai par ailleurs passé un temps complètement hors de toute mesure du raisonnable à trifouiller mon nouveau téléphone ces derniers jours (pour ceux qui connaissent, avant d’atteindre ma configuration idéale je suis passé par un « hard brick », puis j’ai tué la batterie en la vidant complètement sous un mode de restauration sans protection, avant de la ressusciter en la mettant au congélateur, etc. Il va bien maintenant, et vous remercie de votre sollicitude). Entre autres, j’ai installé une application intéressante qui permet de gérer tous les paramètres de l’appareil photo. Je décide donc de le tester dehors. Je m’amuse bien, le mode d’exposition longue fonctionne particulièrement bien de nuit mais il n’autorise pas le moindre tremblement. Je le cale donc avec mon portefeuille. Que j’oublie sur place.
Je ne le réalise que le lendemain, et évidemment le portefeuille s’est volatilisé lorsque je vais le chercher. Super. D’autant que je n’aurai pas le temps de récupérer une carte bancaire avant de partir pour un mois et demi de voyages à l’étranger. Sans conviction, je fais opposition. Sans réfléchir au fait qu’une fois ma carte bloquée, il n’est plus possible de retirer de l’argent, y compris au guichet.
Mon voyage s’annonce bien ! Ne vous détrompez pas: j’apprécie beaucoup Murphy et son émérite loi, qui a un don inégalable pour mettre un peu de piment à ma vie lorsque je m’ennuie. Mais ces temps-ci, je trouve qu’il me colle un peu trop aux basques…
Grâce aux ressources insoupçonnées de la part de mon conseiller financier qui mobilise toute la banque pour moi, je peux finalement récupérer le jour même de mon départ de quoi m’en sortir. Dans l’intervalle, je n’avais plus grand chose à manger chez moi, et de toute façon pas le temps ni l’envie de squatter l’argent de mes potes. J’en ai donc profité pour effectuer un petit jeûne de 3 jours. Il paraît qu’une purge du système digestif une fois de temps en temps fait le plus grand bien ! J’étais impatient de le vérifier.
- Le fait que mon micro-ondes ne fonctionne subitement plus passe plutôt bien, ce n’est finalement qu’un détail !… Et puis en le démontant pour nettoyer l’émetteur d’ondes, il se remet à chauffer comme si de rien n’était. Je suis finalement bien content de cette petite frayeur, elle m’aura permis de ressentir mon premier sentiment de satisfaction de la journée ! Je m’en sens presque reconfituré tiens.
La suite
Si on oublie les nouvelles péripéties qui se sont ajoutées depuis, tout s’est relativement miraculeusement résolu à ce jour. Voici donc, enfin, la délivrance à venir qui s’annonce pour le mois d’août, qui s’il sera d’un calme plat ne se présage pas moins intéressant.
- Ma mère Guenaëlle, après 18 ans dans le même HLM à s’occuper de 5 gosses turbulents qui préfèrent obstinément galérer dans leurs passions plutôt que s’orienter à moindre effort vers des métiers d’avenir (elle avait qu’à ne pas nous donner l’exemple !), reprend une nouvelle vie dans une nouvelle ville, avec un nouveau boulot et toujours ses passions de peinture et de musique (si vous voulez en savoir plus à ce propos, les commentaires sont là pour ça !).
- Ma sœur Esther, maman depuis quelques jours, a quitté son boulot et va chercher à se reconvertir vers un truc (rien de plus précis pour l’instant).
- Ma sœur Déborah, titulaire d’une licence d’histoire de l’art qui lui a permis de gravir vaillamment les échelons du Mac Donald local, plongera probablement un peu plus dans les méandres d’un avenir clairement sombre et distinctement flou, en attaquant à Tours un Master de « Sauvegarde du patrimoine culturel immatériel ». Tout à fait, ça ne veut rien dire et ça n’intéresse personne.
- Ma sœur Joëlla, après avoir loupé le concours d’entrée au pôle supérieur de musique de Toulouse (pour sa défense, ils n’ont pris rigoureusement personne et cette décision était définitive avant même que les candidats entrent en lice…), entrera en cycle professionnel de perfectionnement avant de retenter les concours. Elle doit par ailleurs mettre toutes les chances de son côté pour foirer les rattrapages à la fac, et ainsi avoir le droit de redoubler pour renouveler sa bourse. Autrement, plus possible de passer ses journées à travailler sa musique.
- Ma sœur Noémie, qui n’a pas hasardé les concours cette année, tentera le concours d’entrée en cycle de professionnalisation au conservatoire de Toulouse, sera sûrement prise, et n’honorera probablement pas cette chance puisqu’elle préférera y entrer au niveau ultime (dont je ne connais pas l’intitulé). Ce qui ne lui apportera aucune perspective. Quant-à elle, elle a réussi son année à la fac, ce qui est tout à fait scandaleux au vu de son assiduité – ses camarades de promotion l’ont découverte pour la première fois lors des partiels…
- Et moi, après avoir donné des conférences internationales et écrit quelques articles scientifiques sur la biomécanique du parkour, après avoir fait des spectacles grâce à cette même discipline, je me trouverai sans perspective d’emploi pérenne. Une situation délicate qui, je l’espère, durera assez longtemps pour me permettre de découvrir à nouveau le monde en autostop.
J’aime vraiment l’inconnu ! Il réserve toujours de bonnes surprises.
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