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David Pagnon

Mode d’emploi pour une vie chaotique [partie 2, casting de Ninja Warrior]

Mode d’emploi pour une vie chaotique [partie 2, casting de Ninja Warrior]

Mode d’emploi pour une vie chaotique [partie 2, casting de Ninja Warrior]

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Mode d’emploi pour une vie chaotique [2]

« Tout ce qui est or ne brille pas, et tous ceux qui errent ne sont pas perdus ». J. R. Tolkien

Suite de la partie [1]

Venons en au casting de Ninja Warrior, pour lequel je me suis amusé à paraître complètement perché. Autrement dit, à me dévoiler sous mon jour le plus naturel.

Résumé de la partie précédente. J’ai comme d’habitude un gros planning, qui comme d’habitude est mis à mal par des imprévus, qui chamboulent mon programme comme d’habitude . La base. Mais cette fois-ci, je ne me contente pas des bases. Je me trompe de semaine pour le casting, je me trompe de direction pour mon voyage en bus, je me trompe de jour pour mon retour en covoiturage. Je me trompe d’adresse pour une livraison, je me fais choper sans l’abonnement de tram que j’ai pourtant payé.

Pourquoi tant d’aberrations dans un si petit cerveau ?! Autant dire que mon organisation parfaite est réduite en cendre. Un peu d’efforts et de fourbes corruptions plus tard, c’est pourtant résolu.

Les épreuves

Je peux donc travailler le reste de l’après-midi, passer la nuit dans un bus à destination de Paris, et arriver à 5 h du matin – sans avoir dormi une seule minute. Fin prêt pour des épreuves de sport et d’agilité. Boah… Au pire, si ça se passe mal j’aurai une excuse toute faite ! Je toque à la porte du lieu de rendez-vous, je remplis les quelques formalités administratives, et je remarque que mon groupe passe plus tard que prévu. Et si j’osais ?

 » Au fait, j’ai une petite question !
– Oui ?
– En fait en fait, j’ai passé la nuit dans un bus et je n’ai pas réussi à dormir. Il y aurait moyen que je pose mon sac de couchage dans un coin et que j’y fasse une petite sieste ?
– Euuuh… Je suppose qu’il n’y a pas de contre-indication majeure !
– Parfait, merci ! »

Je sors donc mon duvet, et je m’accorde une sieste tandis que les candidats stressent et s’échauffent. Je sens la tension monter, et moi je dors. J’aime beaucoup !

 

Une petite sieste pour décompresser, tandis que la tension monte chez les autres participants [en arrière-plan]

Une petite sieste pour décompresser, tandis que la tension monte chez les autres participants [en arrière-plan]

Je me réveille à temps pour un petit échauffement fonctionnel, et me retrouve sans plus tarder devant les tests. Tout du long, je suis le premier à passer : je n’ai donc aucune référence par rapport aux performances qu’il serait pertinent de viser. Pur hasard, ou mise à l’épreuve de l’examinateur face à ma prétendue nonchalance ? Dans ces conditions, pas facile de savoir s’il faudrait que je me pousse plus ou moins par rapport aux autres…

Un instant. Rappelez-moi, qui est-ce qui profite de chaque occasion pour rabâcher que la compétition doit être contre soi-même et pas contre les autres ? C’est moi ?! Oui mais c’est la théorie ça, pas la pratique !…

Qu’importe finalement, parce que pour peu qu’on fasse du parkour et qu’on soit un peu complet, l’ensemble est extrêmement facile. Les épreuves mêlent agilité, cardio, force de préhension. Je suis vraiment surpris de voir à quel point mon passif d’athlétisme, d’escalade et surtout de parkour m’avantage. Pour ceux qui voudraient en savoir plus, en voici la liste :

– Sur une barre tenue par des sangles (mobile donc), se balancer et sauter le plus loin possible.
– Sur des plateformes de kinésithérapie renversées (instables donc), sauter de plateforme en plateforme, jusqu’à une poutre.
– Courir 10 aller-retours de 20 m en sprint, et faire une pompe à la fin de chaque aller.
– Sauter d’un trampoline sur une corde, rester suspendu pendant 30 s.
– Sans pause, faire le plus d’aller-retours possible en suspension par les bras d’une poutre à une autre, en passant par diverses prises plus ou moins fuyantes.
– Et toujours dans la foulée, faire un maximum de tractions.
– Pour finir, un « passe-muraille ». Prendre 3 pas d’élan, et tenter de placer la main le plus haut possible sur le mur en s’accordant un appui pied sur le mur.

Et voilà, c’est fini. Place maintenant à la vraie épreuve, l’entretien.

L’entretien

Après la déclinaison de mes nom, prénom et numéro de série, l’interrogatoire commence sans préambule :

 » Quelles sont vos motivation ?
– Mes motivations ? C’est une bonne question ! Franchement, je crois que je n’ai aucune motivation.
– Alors celle là, elle a le mérite d’être originale !
– J’ai beaucoup hésité à venir ici. Je me suis toujours prononcé contre la compétition dans le parkour, j’en ai même écrit des articles [2] [3]. Donc participer à quelque chose qui s’apparente au parkour, dans un format compétitif, c’est un petit peu me parjurer.
– D’accord… Et pourquoi passez-vous ce casting à vrai dire ?
– Parce que j’adore les défis, et que celui-là me semble marrant ! J’aimerais également faire passer ce message, selon lequel le défi se suffit à lui-même : nul besoin de se confronter aux autres pour s’assurer de sa valeur !
– Quelque chose à ajouter à ce sujet ?
– Oui. Honnêtement, ça c’est l’homme idéal que j’aimerais être. En réalité, j’ai beau essayer de combattre mon égo, au fond de moi j’ai envie de faire mieux que les autres… Mais j’en ai honte, ne le dites à personne s’il vous plaît.
– Comptez là-dessus. Est-ce que vous êtes confiant vis-à-vis de vos chances de gagner ?
– Alors là je ne sais pas, j’ai même pas regardé l’émission l’année dernière. Peut-être que je serai premier, peut-être dernier. Et puis si quelqu’un d’autre gagne, je serai un peu moins content, mais lui sera un peu plus content : l’équilibre est conservé, non ?
– Quel type de sentiments vous animeront si vous arrivez devant le buzzer ?
– Je m’octroierai une pause, le regard dans le vague, puis je contemplerai le buzzer l’air pensif : « Est-ce que j’appuie dessus, ou non ?… Allez va. J’appuie ». Et j’exécuterai la sentence. Mais j’imagine que la route est longue jusqu’au buzzer ! »

Puis viennent des questions indiscrètes sur ma vie :

 » David, vous avez dormi dans un coin de la salle d’échauffement juste avant le casting.
– Oui, en fait j’étais fatigué.
– Eh bien, après tout pourquoi pas, c’est une raison comme une autre ! Quoi qu’il en soit, vous avez aussi un style de vie qui sort de l’ordinaire. Si j’en crois votre dossier, vous avez également dormi sur le toit de votre école d’ingénieur pendant vos études.
– Vous êtes bien renseignée ! J’ai beaucoup trop mal géré mon temps pour espérer avoir un logement avant le début des cours. Il a donc fallu que je campe pendant quelques semaines. Fort logiquement, j’ai placé ma tente au plus près, sur le toit de mon école. Cette négligence m’a finalement permis de vivre une mini aventure intéressante ! Le soir je m’entraînais, puis je mangeais au resto U, puis je rentrais sans tarder. Une fois la nuit tombée, je n’avais pas grand chose d’autre à faire dans ma tente que de dormir. Le matin, je me réveillais donc naturellement tôt, je descendais dans les locaux de mon école, je prenais une douche, et j’étais frais pour les cours !
– Vous avez également dormi dehors lors de votre retour en autostop du Liban. Pouvez-vous m’en dire plus ?
– Avec plaisir. À la fin de mon double cursus d’ingénieur et de master recherche en nanophysique, j’ai réalisé que cet avenir ne me tentait finalement pas du tout. Mon avenir était plus flou que jamais.
J’ai toujours répondu « Je ne sais pas » à la question « Qu’est-ce que tu voudrais faire quand tu seras grand ? ». À 7 ans c’est normal, à 13 ans ça se comprend, à 17 ans il faudrait commencer à s’en soucier, mais n’en avoir toujours aucune idée à la fin de ses études c’est relativement préoccupant. Remarquez qu’aujourd’hui j’ai beau approcher de la trentaine, je ne sais toujours pas quoi faire quand je serai grand. Et je m’en porte étonnamment bien.
Quoi qu’il en soit j’avais une seule envie, celle de partir le plus loin possible pour ne plus entendre parler de sciences, et pour essayer de me rendre un peu plus utile qu’en manipulant des équations à longueur de journée. J’ai eu l’opportunité de faire une mission humanitaire au Liban, je l’ai prise à bras le corps [4]. Pour la petite histoire, c’est là-bas que j’ai rencontré celle qui deviendra ma femme ! Chose que je n’ai réalisé que 4 ans plus tard, mais c’est une autre histoire [5]

Une tente, une pouce - Carnet de voyage. Retour du Liban en autostop.

Une tente, une pouce – Carnet de voyage.
Retour du Liban en autostop.

Toujours est-il qu’à la fin de ce voyage, j’ai voulu en profiter pour faire quelque chose qui m’avait toujours tenté : rentrer en tente, en stop, en hiver jusqu’à chez moi, et en écrire les péripéties. [6] [7]
– Et après ce périple, qu’est devenue votre vie ?
– Elle n’est certes pas devenue plus simple pour autant. Ce temps m’a permis de réaliser que j’aimais toujours la recherche, mais encore plus le sport. De quoi me motiver pour entamer des études, encore ! J’ai eu beaucoup de chance, j’ai pu recommencer directement en master recherche STAPS, sans passer par la licence. Juste après, j’ai eu un emploi en laboratoire. Le parfait compromis : de la recherche, dans le milieu du sport, et avec pas mal d’ingénierie et de traitement du signal. Ça fait plaisir !
– Génial !
– Oui, c’était parfait ; mais c’est à ce moment là que j’ai commencé à avoir des opportunités dans le spectacle avec ma discipline, le parkour. J’y ai bien réfléchi, et j’ai pris ma décision :

  1. plus tard je n’aurai peut-être pas la même forme,
  2. je n’aurai peut-être pas la même liberté qu’un célibataire,
  3. et les opportunités ne se représenteront probablement plus jamais.

Autant tenter le coup et embrasser cette nouvelle expérience !
J’essaie malgré tout de garder un pied dans la recherche en donnant des cours de biomécanique à l’université et en honorant les quelques contrats qui me sont donnés par mon laboratoire. Mais c’est un vrai casse-tête.
– Un défi de tous les jours !
– C’est le moins qu’on puisse dire. Actuellement, un nouveau challenge se présente : je vais bientôt me marier, ce qui changera complètement la donne.
Quoiqu’il soit peu conventionnel, j’ai trouvé un bon équilibre en tant que célibataire. À deux, ce sera une autre histoire. Je ne peux pas imposer mon style de vie ancré dans la précarité la plus absolue, à vivre dans 9 m² sans le sou, sans un instant pour moi-même et sans jamais savoir de quoi le lendemain sera fait. J’aime la citation de Tolkien « Tout ce qui est or ne brille pas, et tous ceux qui errent ne sont pas perdus. » Et pourtant, l’évidence n’en est pas moins frappante : il me sera difficile d’errer par monts et par vaux sans faire de dommages collatéraux. Ma femme et moi devrons donc trouver un autre équilibre, quitte à faire des sacrifices douloureux ! Lesquels ? Je n’en sais pas plus, on fait confiance à Dieu pour nous ouvrir la voie. »

Comme promis [3], un peu de « si si la famille » et de prosélytisme primaire par la suite :

 » D’où vient cette quête de défi irraisonnée ?
– Irraisonnée ? Elle est tout à fait raisonnée au contraire ! Simplement il se trouve qu’après réflexion, j’ai tendance à ne opter pour la voie du cœur – plutôt que pour celle de la raison.
Bon. Pour répondre à la question, je pense qu’une des causes trouve sa source dans la mort de mon père lorsque j’étais enfant, dans des circonstances que je ne souhaite pas détailler. Ma mère est donc restée seule, avec mes quatre petites sœurs et moi, soit 5 enfants de 2 à 9 ans à charge. Avec l’aide de Dieu, elle a fait un travail incroyable. Le plus grand des défis me serait de pouvoir un jour soutenir la comparaison, et c’est très loin d’être gagné… En tout cas, qu’on les ai souhaités ou non, notre vie a toujours été remplie de rebondissements. Face à ces coups du destin, nous étions livrés à un choix finalement assez binaire : soit on s’en accommodait au mieux, soit on les subissait prostrés dans la frustration.
Ces rebondissements sont devenus tellement partie intégrante de ma vie que j’en suis venu à estimer que sans galère, la vie serait terriblement ennuyeuse. Ceci, à tel point qu’un soir de révisions au début de mes années de classe prépa, j’ai eu la prière suivante :
« Ok Dieu, travailler c’est relou, mais pourquoi pas. Par contre, pour m’aider y aurait moyen que tu permettes qu’il m’arrive au minimum une péripétie par semaine ? Sans ça, tmtc je n’y arriverai pas… » Il me semble avoir été entendu, au delà de toute espérance !
Tout ça pour dire que j’aime les défis, principalement parce qu’ils me rappellent les épreuves que j’ai vécues. Est-ce paradoxal ? Possible. Mais quelque part, ces incidents m’ont permis de réaliser que même dans les pires traumatismes qu’il ne faudrait pas souhaiter à son pire ennemi, on peut en dégager du positif. Pensez-y vous-même : comment le courage, la persévérance et l’espérance pourraient-elles se dévoiler en dehors des épreuves ?…
Cet aphorisme n’est pas de moi, c’est une paraphrase de la bible : « Bien plus, nous nous glorifions même des afflictions, sachant que l’affliction produit la persévérance, la persévérance la victoire dans l’épreuve, et cette victoire l’espérance. Or, l’espérance ne trompe point […] » (La bible, romains Chap. 5 v. 3-5 [8]) »

Et pour finir, quelques questions plus légères :

 » Comment vos amis vous décrivent-ils ?
– Chauve.
– Chauve ? Mais encore ?
– Bah c’est tout hein, je vois pas ce qu’il y a d’autre à dire ! »

Ou encore:

 » Est-ce que vous vous considérez comme un vrai ninja ?
– Bah non, et même en supposant que l’époque, la culture et la géographie n’aient aucune importance dans cette comparaison, les ninjas étaient avant tout des criminels spécialisés dans les basses besognes. Ils n’étaient pas soumis au bushido (code d’honneur) comme les samouraïs, et étaient donc libres de perpétrer assassinats et pillages. Ce n’est pas comme ça que j’ose m’imaginer !
– Un ninja gentil alors ?
– Un ninja gentil ET chauve, si ça peut vous faire plaisir. »

Voilà voilà.

J’ai eu beaucoup de peine à prendre la décision de passer le casting. Que ça s’arrête là ou pas, c’était en tout cas bien marrant et je ne pense pas avoir trahi mes valeurs. Maintenant la balle est dans leur camp. Soit ils aiment ce profil de débile, ça passe et tant mieux ; soit ils n’aiment pas (comme Beast Master [9]), et tant mieux aussi.

Dans tous les cas c’est tant mieux : après un tel déchirement psychologique [3] je m’en sors plutôt bien non ?


 

[1]↑ La partie 1, où je démontre brillamment ma stupidité. http://david-pagnon.com/fr/mode-demploi-pour-une-vie-chaotique-1

[2]↑ La compétition dans le parkour, du point de vue institutionnel. http://david-pagnon.com/fr/le-futur-de-la-federation-de-parkour-avec-ou-sans-competition/

[3]↑ La compétition dans le parkour, d’un point du vue personnel. http://david-pagnon.com/fr/competition-parkour-beaux-principes-confrontes-a-pratique/

[4]↑ L’album photo « J’me Tyr au Liban », où j’essaie de rendre compte de mon expérience et de la culture. https://www.facebook.com/deyvidpi/media_set?set=a.10150649349564410.417960.781989409

[5]↑ Comme j’ai rencontré ma fiancée au Liban, et comment c’était pas simple. http://david-pagnon.com/fr/fiancailles-a-prolongations/

[6]↑ Le récit de mon retour en stop du Liban. http://david-pagnon.com/fr/ecrits/une-tente-un-pouce/

[7]↑ L’album photo en lien avec le récit. https://www.facebook.com/deyvidpi/media_set?set=a.10150448522244410.388399.781989409

[8]↑ Romains, Chapitre 5, verset 3 à 5 sur les épreuves et l’espoir. http://saintebible.com/romans/5-3.htm

[9]↑ Ma vidéo de présentation pour BeastMaster, émission pour laquelle mon profil stupide ‘a pas convenu.

6 commentaires sur “Mode d’emploi pour une vie chaotique [partie 2, casting de Ninja Warrior]

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