David Pagnon

Loi de Murphy

English version:

Voué à l’échec

Connaissez-vous la loi de Murphy, selon laquelle si quelque chose peut mal se passer, alors elle se passera mal ? Cette loi se vérifie tous les jour, autant avec les tartines beurrées qui tombent du mauvais côté, qu’avec les conflits politiques mondiaux.

Dans l’entre-deux, il y a la semaine que je viens de passer. Tout d’abord, la batterie de mon téléphone commence à accuser le coup et à avoir du mal à tenir la charge. Je décide donc de faire le maximum du côté logiciel, en espérant que le problème ne soit pas seulement matériel. L’occasion faisant le larron, je me mets en tête d’installer une ROM custom (un système d’exploitation personnalisé), avec un kernel mieux ajusté à mes besoins (qui me permet de mieux gérer les ressources du processeur en particulier).

La faille se trouve ici : je ne sais pas faire.

Pourquoi est-ce que j’ai deux vis en trop ?

Et si seulement c’était la seule ! En vrac, quelques autres failles : je ne peux pas me connecter à internet sans le partage de connexion de mon portable ; je ne veux perdre aucune donnée sur ma configuration actuelle ; et j’ai un tempérament obsessionnel qui ne me permet pas de prendre du repos avant d’avoir la configuration de mes rêves.

Solution à la première faille : pour savoir faire, il me « suffit » de me documenter sur internet, qui regorge de forums et de tutoriels. Solution invalidée par la seconde faille, puisque je n’aurai pas accès à internet quand je mettrai la pagaille dans mon portable. Je dois donc lire attentivement les instructions, les comprendre et me sentir prêt à les appliquer, télécharger ce dont j’aurai besoin, puis me lancer en espérant ne pas avoir de mauvaise surprise. Or c’est de notoriété publique, il y a TOUJOURS une mauvaise surprise qui vous attend au tournant. C’est une loi universellement acceptée, qui d’ailleurs découle en ligne directe de la loi de Murphy.

Ca ne manque pas : en deux temps trois mouvements je me retrouve donc sans téléphone, et par voie de conséquence sans internet non plus. Sans téléphone et sans internet… Ma vie me semble bien vide d’un coup !

Comment faisaient-ils à l’époque ?! Si moi-même j’ai du mal à y répondre, je n »imagine pas comment les nouvelles générations verront l’avènement d’internet. Comme une rupture du même type que celle que je vois entre le XXème siècle et le moyen-âge ? Ou qu’entre le moyen-âge et l’âge de pierre ? Le jour et la nuit ?…

La vraie vie du dehors

Comment puis-je m’occuper sans internet à mon époque ? Eh bien tiens, profitons-en pour essayer de me remettre à jour dans les labeurs administratifs. D’un bon pas, je fais le tour des bureaux, plein d’une ardeur que je ne m’aurais pas soupçonnée pour la paperasse. Évidemment je n’ai pas vérifié les horaires, et tout est fermé.

Je vais faire un tour à vélo pour essayer de réapprender le monde tel qu’il est sans le filtre d’un écran. Belle résolution je dois dire, les couleurs sont réussies ! Je suis tant et si bien subjugué par le paysage que je n’en regarde plus où je vais. Et ce qui devait arriver arriva.

Je me prends un trottoir de plein fouet. Une roue est voilée à n’en plus pouvoir tourner, et une pédale est cassée net. J’ai acquis ce vélo il y a quatre jours.

Bon. Ça commence à être un petit peu fatigant tout ça. J’avais d’autres projets cette semaine il me semble ! Je me retrouve sans téléphone, sans internet, et sans vélo. Désespérément isolé, en plein cœur de la ville où se trouvent tous mes amis. Je n’ai aucune perspective rassurante sur l’avenir de mon téléphone, d’internet, ni de mon vélo, je n’ai aucune idée de comment résoudre tout ça.

J’ai besoin me défouler et d’évacuer toute cette frustration. Je m’entraîne un peu au parkour. Tiens ! C’est là une bien belle haie de lauriers ! Du haut de mon toit, je pourrais presque la toucher. Elle n’est pas taillée, monte jusqu’à 4 mètres de haut et son feuillage printanier semble bien confortable… Et si j’osais ?

Pas sûr que la haie tienne le coup par contre… Si elle lâche, comment est-ce que je me récupère ? Bah, je ne sais pas mais mon corps saura bien réagir pour moi ! D’un ample et fier mouvement, je plonge sereinement, à plat ventre pour répartir mon poids. Je suis ralenti en douceur, … Jusqu’à ce que le tout cède et me laisse tomber comme un roc en deçà des feuillages, lacéré par les branches sèches. Je me retrouve quatre mètres plus bas.

Ne nous mentons pas, cette chute n’était pas complètement contrôlée. En revanche, je peux me targuer d’avoir pensé au pire avant d’avoir amorcé mon plongeon ! Prochaine étape dans ma recherche de mouvements : ne pas laisser le pire arriver. M’enfin… Après tout je n’ai pas plus de bobos que quelques égratignures, ce n’est pas comme si j’avais besoin d’être consolé. Plus de fun que de mal comme on dit !

Ma journée ainsi égaillée, je peux me replonger dans mon portable, batailler avec toute la nuit, et me retrouver tout penaud devant l’horloge lorsque je réalise qu’il est déjà 9h du matin. Au point où j’en suis, pourquoi dormir maintenant ? C’est fou comme un si petit objet est capable d’annihiler toute notion d’espace et de temps !

Geekage interrompu

En fin d’après-midi les choses ne sont toujours pas résolues, et j’ai un rendez-vous Skype avec ma sweet et tender le soir. Pas possible chez moi sans internet. Voyons si je peux aller chez quelqu’un ! Je ne peux pas appeler ni envoyer de message, pas le choix faut y aller. Allons chez ma sœur Noémie – à pied. Elle n’est pas là. Allons chez mon pote Clément – à pied. Il est là. Je lui emprunte son portable pour appeler Noémie. Elle ne sera pas là de la soirée, par contre ma sœur Joëlla dormira chez elle. Parfait ! On va jouer au parkour quelque temps en attendant.

Un peu plus tard je retourne chez Noémie, où je retrouve Joëlla. C’est bien ! Sauf que Noémie n’a pas internet non plus… Pire encore, je le savais. La mort dans l’âme, j’utilise le portable de Joëlla pour demander à Mikaela de reporter cet appel. Elle me pardonne, car elle est bonne.

Ma décision est prise, demain j’irai en stop jusqu’à chez ma sœur Déborah, qui elle a une connexion internet digne de ce nom. Je ne peux pas la prévenir mais je connais ses horaires, elle aura la surprise et c’est tant pis pour elle !

Comme en attendant le lendemain je me sens désœuvré et que ce n’est pas un sentiment que j’apprécie, je me mets en tête de réorganiser de fond en comble mon appartement pour en optimiser ses 9m² remplis de nourriture, d’habits, de bouquins – et également d’une roue de vélo, d’un oscilloscope et d’un gyrophare. C’est du boulot. Je me couche donc encore à pas d’heure – avec mon appartement sens dessus dessous.

Le temps qui file…

Après une courte nuit de sommeil je me retrouve chez Déborah, prêt à utiliser son accès internet pour farfouiller sur les forums et pour récupérer les fichiers qui m’aideront à refaire une santé à mon portable. Cinq minutes d’espoir, sauvagement interrompues par l’agonie brutale de mon PC.

Le diagnostic est vite vu : je le savais, le gros point faible de ce modèle c’est le connecteur du chargeur, qui a tendance à se dessouder. Impossible donc de fournir à mon ordinateur sa dose d’électricité journalière. Je veux quand même en avoir le cœur net, je le démonte intégralement – parce que le connecteur a le mauvais goût d’être enfoui derrière une foule d’autres composants. Je tenterai de le ressouder de retour chez moi !

Admettons-le toutefois, ce chenapan d’ordinateur a particulièrement mal choisi son moment pour tomber en panne. Petit rappel des faits : je ne peux pas utiliser mon ordinateur chez moi, je pars donc chez Déborah qui a une connexion internet. Chez Déborah il tombe en panne, je dois retourner récupérer un fer à souder chez moi. Et enfin, je ferai encore le trajet jusqu’à chez elle dans l’espoir (infime) de réussir à réparer mon ordinateur et mon portable, avant de rentrer chez moi pour de bon. Me reposer.

Échec sur échec

En attendant, autant me rendre utile. Le frigo de Déborah ne se ferme plus. Puis-je y faire quelque chose ?

Certainement, puisque je soupçonne l’épaisse couche de glace envahissant le freezer d’y être pour quelque chose. Dégivrer un frigo, ça ne sera pas trop frustrant ni intellectuellement fatigant. Pendant que je suis chaud, autant donner le fer pour me faire battre. Je gratte et regratte la glace, jusqu’à ce que le résultat soit presque parfait. Ah, sauf ici, il en reste un peu qui ne veut pas partir ! J’y vais un peu plus fort. Ça accroche bien dis donc.

PSCHHHHH !! Le son me fait bondir, et le panache de gaz odorant qui sort aussitôt du frigo ne m’aide pas à retrouver ma sérénité. Je dois me rendre à l’évidence, j’ai percé la plaque du freezer… Je bouche le trou comme je peux, je referme le frigo, j’aère, et je transfère mes poumons (accompagnés du reste de mon corps) sur le toit. Le gaz réfrigérant n’est pas dangereux, mais quand même.

Il faut le dire, Murphy y va un peu fort ces temps-ci ! J’ai l’impression d’être un Job de la technologie. Pas un Steve Jobs hein, un Job de la Bible, sur lequel tous les malheurs du monde s’abattent. Voyons le positif, seule la technologie trépasse à mon contact. Ce n’est déjà pas si mal. Je laisse un sourire m’échapper : en temps normal, cette histoire de frigo m’aurait atterré et paniqué. Là, face au reste, je n’en suis que las.

Déborah revient, bosse un peu sur son mémoire, va se coucher. Je ne peux tout de même pas lui piquer son ordinateur pendant la journée, elle a un mémoire de master d’histoire de l’art à avancer ! Je l’utilise donc pendant la nuit. Commençons par regarder les prix des frigos d’occasion. J’ai des revenus dérisoires, mais mes besoins le sont tout autant : je pourrai donc lui en racheter un sans me mettre en galère. En revanche, au prix du connecteur de batterie, je ferais mieux de m’acheter un autre ordinateur ! Deux grosses dépenses coup sur coup…

J’ai toujours l’espoir de ne pas avoir à me racheter de téléphone ! Mais pour transformer ce rêve en réalité, il me faut profiter de ce temps où j’ai à la fois un ordinateur et une connexion potable. Et donc, pas dodo nuit.

Le lendemain matin, après de nombreux bootloops, softbricks, et autres mots techniques, j’ai quelque chose qui semble fonctionner. Problème : l’appareil photo est hors-service. Skype aussi donc. Absolument inenvisageable lorsque c’est le seul moyen à disposition pour voir ma copine qui réside aux États-Unis… Évidemment, à force de trafiquer les ROMS, kernels et librairies, on en arrive à des configurations ou tout ce petit monde a du mal à s’entendre.

J’essaie autre chose : c’est le clavier qui ne marche plus. Encore autre chose : enfin tout fonctionne à nouveau, alléluia le monde est beau ! Entre deux tests infructueux, je peux restaurer une ancienne configuration fonctionnelle et utiliser mon téléphone. À présent, j’aurais le pouvoir d’abréger tout ce temps perdu. Il faudrait toutefois que j’accepte d’abandonner les nouvelles idées qui me viennent au fur et à mesure de ma découverte du monde d’android.

Vous l’aurez compris, ici vous n’avez que les grandes lignes. Pendant une semaine et demie, je passe la journée sur mon portable, et une bonne partie de mes nuits. Je ne dors pas une seule fois plus de 5 heures. Tout ça pour un téléphone me diriez-vous ?! Oui mais au moins j’ai quelque chose dont je suis à peu près satisfait, et surtout j’ai appris des choses !

Est-ce que ça me servira ? Probablement jamais.

Tout fonctionne, SAUF que je ne peux plus modifier l’appareil photo pour obtenir un temps d’obturation prolongé de 32 secondes, ou pour prendre des photos en format brut. Et cette fois, le problème me semble insoluble. Il me faudrait réécrire le kernel depuis zéro à partir d’autres librairies, c’est bien au delà de mes compétences.

En revanche, il est possible d’installer deux systèmes d’exploitation en dual boot sur mon portable, l’un avec ma configuration quasi ultime, et l’autre avec une configuration minimale, qui me permettra à la fois de prendre les photos que je veux, et d’avoir une utilisation minimale de batterie lorsque je suis en montagne – par exemple.

Ok, je vois que certains piquent du nez dans le fond, assez de technique pour aujourd’hui.

Yose

La journée qui suit est l’une des plus agréables de ma vie. Mon portable fonctionne à nouveau, et il est personnalisé comme jamais. Également, je passe au magasin et on m’échange gratuitement le vélo cassé quelques jours avant, simplement et sans autre forme de procès. Puis Déborah me dit qu’avant que je l’abîme, son frigo était déjà mal en point et son agence s’était engagé à le remplacer : pas de frais supplémentaires à ce niveau.

En rentrant chez moi j’essaie un autre chargeur sur mon ordinateur, et il fonctionne à nouveau comme un charme ! Toujours aussi fracassé extérieurement et fatigué intérieurement, mais il fonctionne ! J’ai eu du mal à placer mes soupçons sur le chargeur, puisqu’il était presque neuf. Je dois concéder que c’était une marque chinoise. Pourquoi doncai-je acheté du matériel chinois ?! C’est une manière comme une autre d’agir concrètement contre la discrimination raciale, et d’apporter un soutien financier à mes frères asiatiques. Certes le chargeur était également 5 fois moins cher qu’en Europe. Mais mon mérite n’en est pas moins grand.

Par ailleurs, je reçois un email de la compagnie aérienne que j’ai prise pour aller aux États-Unis, dont le vol a été reprogrammé 9 fois et m’a presque fait manquer la correspondance à Londres. Sans que je n’aie rien demandé, on me propose de rembourser intégralement mon trajet aller. (Edit: finalement, après m’avoir mis l’eau à la bouche et proposé de faire les démarches, ils ne me remboursent rien, parce que « ce retard était dû à des grèves et pas à leur service ». L’argument est valable. Mais ce n’est pas très cool de créer la tentation, pour ensuite avoir le malin plaisir de pouvoir refuser de l’assouvir…).

En enfin je reçois mon cadeau d’anniversaire, un livre bien sympa – avec même pas un mois de retard, félicitations à mes sœurs. Tout, et plus encore, se résout en l’espace d’une journée !

Yori !

Baroud d’honneur de Murphy

Pour moi du moins. Joëlla m’appelle pour m’informer qu’elle vient de mettre son portable sous le robinet, ce qu’elle a mis du temps à réaliser. Il ne marche donc plus. Elle avait ce portable depuis deux semaines, après avoir cassé son ancien en tombant dessus. On se comprend dans la famille…

Noémie, habituée à ce type de scénarios elle aussi, lui conseille de le placer dans un sac de riz, pour attirer des petits chinois qui répareront son portable dans la foulée pour la remercier. Peut-être aussi que les grains de riz seraient capables d’absorber l’humidité du portable, et assez gros pour ne pas coller dans les orifices, mais je ne voudrais pas trop m’avancer.

Je ne peux rien faire de plus pour elle, et égoïstement je compte bien profiter de ma nuit, enfin sans soucis ! C’était sans compter le virus de la motivation, qui choisit cet instant précis pour faire irruption : je travaille toute la nuit pour la fédération de parkour, en réussissant à me réserver 1h30 de sommeil avant d’aider Noémie à son déménagement.

La nuit suivante sera la bonne ! Plein d’un espoir naïf, je mets mon réveil à 11h30. Je vous laisse me souffler la réponse : eh non, je ne pourrai toujours pas en profiter. Joëlla doit partir à Genève pour y faire une série de concerts, et a pris un covoiturage.

Le portable d’emprunt qu’elle a récupéré ne sonne pas. Je me fais donc réveiller à 7h30 par une Joëlla en panique… On passe une heure à essayer de trouver une solution : à cause des inondations et des grèves pour la loi travail, le train est une solution inenvisageable. Il faut 5 heures de train pour un trajet de 2 heures normalement. Et un covoiturage au tout dernier moment, ce n’est pas facile à trouver…

Quelques aller-retours et refus plus tard, on lui trouve quelque chose, elle arrivera là avec 3 heures de retard, mais elle y arrivera ! Et moi, je garde un espoir désespéré de pouvoir dormir un jour.

Et pendant ce temps, d’autres perdent leur temps à se plaindre parce qu’ils se font évacuer en barque de leurs maisons emportées par les inondations, ou parce qu’ils fuient leur pays de Syrie sous les menaces conjointes de l’état islamique et du régime de Bachar El-Assad (sans oublier la menace des rebelles, des Kurdes, de la Turquie, la Russie, et de l’occident…

Comment ça je me plains pour rien ?