Je me suis fait une entorse de la cheville.
Honteux, autant que pénible. J’étais censé donner un spectacle le lendemain : ajoutons « fâcheux » à l’addition, pourtant déjà bien assez salée comme ça. Je décide donc de passer une semaine à Toulouse, dans l’objectif de limiter les tentations. « Tentations » est ici totalement synonyme de « parkour », cela va sans dire. Et puis, c’est également l’occasion de voir ma première nièce, qui n’attend pas que je sois à ses côtés pour grandir ! Mettons également dans la balance tous ceux qui ne m’attendront pas pour vieill… pour évoluer, au titre desquels se trouvent des amis, ma mère, ma sœur, ma sœur, mon beau-frère, mon cousin, mon cousin, ma cousine, ma tante, mon oncle, mon oncle et ma tante. C’est le moment ou jamais de prendre quelques vacances !
Voilà pour le contexte. Je suis venu, j’ai vu, j’ai soignu ; à présent je rentre chez moi, une demi-cheville en plus. Je récupérerai l’autre moitié dès que j’en aurai le temps : un weekend scout et deux semaines de spectacle m’attendent.
Bien évidemment, rentrer n’est jamais simple, et il faut se poser la question du moyen… En stop ? Je ne touche plus à ça. Le covoiturage ? C’est pour les pauvres, et dernièrement j’ai mis un point d’honneur à m’embourgeoiser convenablement. Je cède donc à la facilité et décide d’y aller en transports en commun. Ce qui revient à prendre un bus, deux métros, trois trains, un tramway et quatre étages sans ascenseur.
Ma résolution, pourtant emprunte de la meilleure volonté du monde, ne tient pas longtemps. Sans que j’aie rien demandé, une âme charitable a pitié de moi et propose de m’amener en stop jusqu’au prochain métro. Faut-il le préciser ? Je transporte une batterie électronique que mon oncle m’a donnée, dans un carton qui fait approximativement ma taille et mon poids – sans mes jambes. Ce petit coup de pousse-pousse me permet donc d’arriver sans encombre à bord du premier train. Ou disons plutôt, presque sans encombre. Un passager s’est vu attribuer la même place que moi. Par chance, une place vacante se manifeste et me propose un siège tout aussi confortable juste derrière.
Le contrôleur passe un peu plus tard, et demande à la cantonade:
» A qui est le carton ? »
Perdu dans les limbes de mes pensées nébuleuses, je laisse entrer le flux lointain de cette voix par une oreille, et sortir par l’autre sans passer par le cerveau qui les relie. L’esprit est parfois bizarrement constitué.
» Si le carton n’est à personne, je l’embarque !
– Ah ! Euh si, il est à moi, pourquoi ?
– Parce que je sais ce qu’il y a dedans !
– Ah oui, vraiment ?! Soyez assuré que derrière ma mine impassible, j’en suis excessivement ravi.
– Si j’étais malhonnête, je pourrais descendre à la prochaine gare et embarquer votre instrument avec moi.
– Vous savez mon ami, j’en suis pleinement conscient ; et pourtant, je ne m’en suis pas méfié une seule seconde. J’ai tout de suite remarqué à votre noble allure que vous étiez quelqu’un de fabuleusement honnête, et que je n’avais rien à craindre de vous.
– Bref, toujours est-il que ceci s’apparente à du fret plutôt qu’à du transport, et que je pourrais vous verbaliser pour ça.
– Encore une fois, je vous remercie infiniment de me proposer de vous en abstenir.
– Bon. »
Le ton stressé a été censuré et remplacé par un ton chevaleresque (que je trouvais plus distingué), mais la substance y est.
Je change de train, refuse poliment pour la 74ème fois l’aide de la famille Janty qui propose de m’aider à porter ce fardeau. Ne m’enlevez pas les dernières reliques de ma fierté ! J’ai accepté une fois de l’aide et c’était déjà plus que prévu. Je refuse d’abandonner toutes mes résolutions si facilement, je suis un homme fort ! Une fois à bord le temps passe lentement, mon esprit vagabonde tranquillement, et le train file à grande vitesse. La contrôleuse arrive. Je sors mon ticket, avec la négligence affectée que je crois emblématique de la classe des personnes qui prennent le train.
» Voici le billet brave Dame, vous pouvez l’oblitérer de votre cachet.
– Merci !
– Oh! C’est si peu de chose!
– Ah…
– Un problème chère amie?
– Oui, il me semble bien…
– Tiens donc !
– Laissez-moi vérifier… Oui c’est bien ça. Regardez votre ticket.
– Fort bien.
– Pouvez-vous me lire la date?
– Le 10 octobre. Mais encore? »
Je prends le temps d’analyser toutes les données.
» Fi donc ! C’est pourtant aujourd’hui l’anniversaire de deux de mes sœurs, qui sont nées le 9 octobre ! Sommes nous à la fois le 9, et le 10 de ce mois ?!… Diantre, deux dates pour un seul jour, c’est beaucoup trop pour un simple homme !… Ô ciel, quelle est donc cette hérésie?
– Votre interprétation est brillante, mais je pense plutôt que vous n’avez pas pris le train le bon jour.
– Avanceriez-vous que nous fussions le 9, et que le 10 ne viendrait que demain?
– J’avancerais même que le billet d’aujourd’hui est deux fois plus cher que celui de demain, et que je pourrais penser que vous l’avez fait exprès.
– Malheur…
– Et que le prix du billet, plus la majoration, plus l’amende que je vous ferais payer, vous reviendrait encore plus cher.
– Las…
– Mais je ne le ferai pas, car je suis bonne.
– Certes. »
Ainsi se clôt la discussion. (N.d.A.: L’exactitude des propos, encore une fois, n’est pas garantie). Je comprends donc pourquoi j’ai été attribué la même place qu’un autre passager… Désolé SNCF, et merci de m’avoir laissé continuer ma route !
Le dernier train est régional, et la date n’a pas d’influence sur les tarifs. La fin du trajet aurait même été décevante si je n’y avais pas fortuitement croisé une amie.
» Non, je ne savais pas que tu avais trouvé un rat mort dans ton congélateur après la dernière soirée. Vraiment. »
Une histoire aussi sordide qu’amusante: sa colocataire, un brin atypique, voulait récupérer le squelette du rat (mort) d’une autre invitée étudiante en biologie.
Abstenez-vous de vos commentaires s’il vous plaît, je les entends d’ici et j’ai déjà assez de mal à me concentrer. La douce jeune fille l’a donc naturellement placé à son insu dans le congélateur, sans penser à le lui signaler. Les choses se sont corsées le jour où les fusibles ont disjoncté, amenant le congélateur à dégivrer et le rat à pourrir au milieu des petits poids et de la blanquette de veau…
Voilà, ça me ferait une bonne phrase de conclusion. Mais est-ce que c’est fini ? Non. Encore un peu de patience je vous prie, je vous libère bientôt.
Je me proposais de passer ma soirée à écrire ces sympathiques aventures, mais il se trouve que l’amie du train, que je n’ai pas vue depuis plus d’un an, va justement ce soir chez un ami (Romain) qu’on découvre être en commun et qui rentre lui aussi de Toulouse. Le monde est certes grand, mais il présente décidément des intrications bien complexes… Le hasard est trop invraisemblable pour qu’on ne saisisse pas l’occasion ! Je suis donc invité à les rejoindre pour la soirée.
Le lendemain matin, je pars en week-end scout avec David, Sarah et les petits louveteaux. J’en rentre trop fatigué pour écrire. J’aimerais bien glandouiller, mais si je ne me mets pas tout de suite devant mon ordinateur ça ne sera pas fait avant les calendes grecques… En effet, je pars le lendemain à 14h30 pour un spectacle à Cavaillon. Pas le choix: je me propose une petite sieste pour me mettre en condition, avant de m’y plonger efficacement.
C’est un texto du régisseur de la compagnie qui me réveille à 20h:
« Salut David, c’est pour savoir où est-ce que tu en étais, j’espère que tout va bien ! Je suis à la gare d’Apt. »
J’essaie tant bien que mal de m’extraire de ma torpeur, me mets quelques claques jusqu’à en être assez réveillé. Et je ne comprends toujours pas. Bon, j’ai un doute, vérifions les horaires du train sur le mail de confirmation. Boite mail, chargement, voilà voilà… Parce que quand même, deux fois de suite c’est pas possible, on est d’accord ! Recherche mails, mot-clé « SNCF »…
Oh nooooon… Le train de demain était en fait aujourd’hui… Il est plus de 20h, et je suis supposé être arrivé alors que je viens tout juste de comprendre que j’étais censé être parti. J’ai loupé un spectacle il y a deux semaines à cause d’une entorse faite la veille, et là je manque le suivant pour cause de stupidité… Ok. Je n’aurais pas fait long feu dans cette compagnie. C’était pourtant bien parti… Comment continuer dans le spectacle après ça ? Qui contacter ? Que faire de ma vie ? Tout ça se bouscule en moins de 5 secondes dans ma tête, bien réveillée maintenant.
Première chose à faire, j’appelle le régisseur :
« Allo Jean-Luc ? Euuuuuh, je ne sais pas comment te dire, je suis le plus grand boulet de la terre…
– Noooon, sérieux, toi aussi ?
– Comment ça moi aussi ? Y a qui d’autre ?
– T’as loupé ton bus comme Ophélie ?
– Ophélie a loupé son bus ? Oui, voilà, en gros c’est ça…
– Elle est aussi sur Avignon et elle ne passera pas par Apt, elle prend directement le bus pour Cavaillon demain. Elle a un plan pour dormir, contacte-la et tiens moi au courant!
– D’accord, ça me soulage de savoir que je ne suis pas le seul ! Franchement, je suis vraiment désolé…
– Hahaha, bon j’attends de tes nouvelles !
– Hahaha. »
Hahaha jaune de ma part… Je me garde bien de détromper Jean-Luc et de lui apprendre que je suis toujours chez moi à Grenoble. Ceci dit Ophélie, je te le dis solennellement, je te serais éternellement reconnaissant pendant plusieurs jours de t’être plantée à point nommé.
Je ne prends pas le temps de réfléchir, je fais mon sac pour deux semaines en 5 minutes, et pars en courant faire du stop en direction de Cavaillon. J’appelle Ophélie, et lui apprends que j’ai loupé mon train, que je suis en stop et que je suis encore « assez » loin d’Avignon.
» Non, c’est super gentil mais ça ne vaut pas le coup d’aller me chercher tout de suite, je vais m’en sortir. Mais puisque tu n’es pas à Avignon même et que je vais arriver tard, je ne vais pas te déranger plus, je vais appeler un ami d’Avignon qui se couche tard. Non, je ne sais pas encore qui mais ne t’inquiète pas, tout roule et au pire j’ai un pull pour passer la nuit ! Ah attends, avant de raccrocher, à quelle heure est-ce qu’on doit prendre le bus pour Avignon-Cavaillon ? 7h35 ? Parfait, je devrais être arrivé d’ici là. »
Je suis pris rapidement en stop, je discute un peu et raconte la situation, et j’envoie des textos pour faire jouer le réseau de parkour. Flo accepte sans aucune hésitation de m’héberger pour la nuit. Il ne semble d’ailleurs pas surpris pour le moins du monde de ma mésaventure, comme c’est étrange…
C’est déjà un bon point, maintenant débrouillons nous pour arriver à Avignon d’ici demain matin ! J’ai déjà eu assez de soucis comme ça, la providence en est consciente et le stop fonctionne comme sur des roulettes. Deux heures plus tard se trouve confirmée la théorie de l’auto-stop, qui n’est jamais aussi efficace que lorsqu’il est censé ne pas fonctionner. De nuit, en habits sombres, fatigué et pas rasé, je mets deux heures pour arriver au péage d’Avignon-Sud. Un record. Ne détaillons pas les excès de vitesse commis par l’un des quatre conducteurs, je ne lui en veux pas pour cette fois. Deux heures de marche plus tard (le péage est plus loin que je ne l’aurais pensé), je suis chez Florian. Et c’est la fin des galères: je dors une courte nuit à Avignon, je retrouve le lendemain matin Ophélie à la gare, et nous sommes les premiers arrivés. Tout est bien qui finit bien.
Toujours est-il que je n’en suis pas moins un imbécile. Un imbécile heureux à la rigueur. En deux jours (excusez du peu), j’ai pris un train un jour trop tôt, et l’autre un jour trop tard. Dans l’intervalle, ces bêtises auront au moins eu le mérite de m’offrir un bon week-end avec les scouts !