David Pagnon

Mon enterrement [partie 3]

English version : 

Mon enterrement [Partie 3]

La rencontre ici : http://david-pagnon.com/fr/mars-2016-partie-25/
Le récit des fiançailles là : http://david-pagnon.com/fr/fiancailles-a-prolongations/
Les vœux échangés lors du mariage sur cette pagehttp://david-pagnon.com/fr/nos-voeux-de-mariage/

Trop long ? La vidéo de l’enterrement de vie de garçon icihttps://www.youtube.com/watch?v=8Y_X0akSbPA

 Introduction

Partie 1 ici !

I. Ma fiancée est enlevée !

Partie 1 ici !

II. Trump s’oppose à notre union !

Partie 2 ici !

III. À l’assaut des kidnappeurs

Partie 2 ici !

« Ils ont essayé de nous enterrer. Ils ne savaient pas que nous étions des graines. » Dinos Christianopoulos

 IV. Suis-je prêt à être un bon mari ?

Je le vois dans leurs yeux, j’ai déçu mes amis. L’amour est censé être inconditionnel. Je suis décidément bien superficiel pour voir mon amour refroidi par la simple transformation de ma fiancée en baudruche. Quant-à elle, comme toute princesse qui se respecte, elle m’aurait chéri sous n’importe quelle forme, fus-je un crapaud. L’épreuve suivante sera déterminante. C’est le PCBM, le Parcours du Combattant du Bon Mari.

Le scénario, tout à fait vraisemblable, consiste en une mise en situation de ma future vie de couple. Il y aura probablement un jour où je voudrai faire du sport et où mon épouse s’y opposera, pour m’imposer de lui peindre les ongles par exemple. Il faudra alors que je la fuie, en rampant sous les grillages puis en courant ventre à terre le plus loin possible. Ça ne remettra aucunement en cause notre amour, au contraire ce sera une salutaire soupape de sécurité.

Elle, elle risque toutefois de ne pas l’entendre de cette oreille. Pour qu’elle l’entende de l’autre oreille il faudra que je chante l’hymne américain dans un tuyau tout en jouant des percussions sur un panneau de chantier. Seulement après je pourrai rentrer à la maison sans risquer ma vie. En revanche, même pardonné je devrai faire face aux punitions prévues dans ce cas-là. À savoir, nettoyer l’allée qui mène chez nous. Elle est pleine de déchets de toute sorte, il était de toute façon plus que temps de la déblayer. Le temps presse, on balancera tout chez les voisins !

Première épreuve du PCBM : l’hymne américain

Encore une fois, je réaliserai que j’ai mal agi, je devrai accepter la punition. Ça commencera par 30 burpees (un burpee étant une pompe suivie d’un saut vertical), puis pour prouver mon romantisme je devrai courir trouver des fleurs sur la colline d’à côté et en faire un bouquet. Il devra être absolument magnifique, autrement la grâce conjugale ne me sera pas accordée. Un comité d’évaluation sera rassemblé à cet effet. La tâche représentera un défi d’autant plus grand que ce damné coin est démuni de toute flore en cette saison.

Ce n’est pas fini ! Ma femme a fait des courses, il faudra que je remonte la lessive depuis l’arrêt de bus, tout en bas de la pente ! Et au passage il faudra que je regarde les horaires du prochain départ pour la Syrie, puisqu’on a décidé d’y faire des actions humanitaires cette après-midi. Manque de bol, le pont pour accéder à l’arrêt de bus vient de s’effondrer, je devrai donc traverser le vide sur une slackline. Je consulterai les horaires, je prendrai la lessive qui ressemble à s’y méprendre à un rocher (c’est sûrement une métaphore, encore), je retraverserai le vide en y mourant quelques fois s’il le faut, puis je remonterai en courant jusqu’à chez nous, prêt à m’effondrer aux pieds de ma bien aimée, satisfait d’avoir gagné mon pardon !

C’est parti. Je m’exécute, me tue à la tâche et succombe de fatigue. J’ai fait plusieurs erreurs et je suis sur les rotules. Mais à force de volonté j’ai réparé les dégâts, et ma femme m’aime toujours ! Je suis allongé au sol, pantelant comme un chien asthmatique, profitant cependant des montées d’endorphines consécutives à l’effort.

Et le coup de grâce s’abat sur moi : là encore ce n’était qu’un échauffement. Maintenant que je suis prêt et que je connais les étapes, on peut lancer le chronomètre ! Je recommence le parcours dans la foulée. Et je divise mon temps par deux, en y donnant toutes mes tripes.

Les douces épreuves du PCBM achevées, le jury doit rendre son verdict. Serai-je un bon mari ? Les faits sont incontestables : je suis capable de fuir ma femme, de vandaliser mes voisins, d’endurer une punition, et de faire des bouquets de fleur. Je suis prêt, le comité est formel. Et pour ma part, la vie de marié me fatigue d’avance…

V. L’enterrement

Après ce bref aperçu d’une typique vie de couple, je pense avoir le droit de m’accorder une petite trêve. Cette pause sera donc une pause « parkour ». Je suis chaud, autant ne pas gaspiller cette énergie ! Je vais enfin pourvoir céder à la tentation de ce lieu magnifique qui m’a fait de l’œil toute la journée, avec ses belles formes. Les toits communiquent, toutes les pièces sont accessibles, le chantier offre des obstacles de toute nature : le rêve de tout traceur ! J’espère que ma fiancée ne m’en voudra pas trop pour cette infidélité pré-maritale.

Ce sera court mais ce sera bon !

Mais pas si vite. La vie de couple, c’est validé. Toutefois, avant de pouvoir me reposer, j’ai une dernière mission à remplir. Ce weekend est un enterrement de vie de jeune garçon, ça on l’a compris. Ce n’est pas qu’un délire de ma part ni de celle de mes amis : c’est une tradition à laquelle se plient tous les futurs mariés. Une étape absolument incontournable avant tout mariage.

Je dois donc enterrer ma vie de jeune garçon. Le jeune garçon, c’est moi. Mes camarades eux-même, malgré toute leur science et toute leur bonne volonté, ne savent pas comment enterrer une vie de jeune garçon sans enterrer un jeune garçon. Je dois me faire enterrer. Je peux essayer de jouer autant que je veux avec les tournures de phrases, l’évidence parle : je n’ai pas le choix. On va donc prendre les choses au mot, et m’inhumer.

Je cherche quelques instants sans succès, je ne trouve pas de tombe disponible dans le coin. Il va falloir creuser. Je suis le premier concerné, c’est donc à moi de le faire. Je prends la pelle, et je creuse. Le trou doit être à ma taille, et au minimum assez profond pour que je puisse être intégralement recouvert de terre. Plus facile à dire qu’à faire !

Quelques ampoules aux mains et quelques heures plus tard, c’est chose faite. Le trou est creusé : je m’y allonge, prêt à abandonner mon ancienne vie à tout jamais. J’enterre avec moi mon ancienne vie de célibataire. J’accepte dans la douleur de quitter ma triste solitude, je fais le deuil de mes soucis non partagés, j’abandonne l’idée de passer mes nuits sans personne pour réchauffer ma couche. Terrible.

Comme je l’ai déjà expliqué, la cérémonie nous offre à tous l’occasion de nous recueillir sur ma tombe. On partage un beau moment, poignant d’émotion. Je découvre ma valeur dans les yeux de mon entourage, que je sens bouleversé. Ils pleurent ma perte, avec toute la sincérité dont leurs talents d’acteurs les rend capables.

Un enterrement de vie de garçon, ça passe forcément par un enterrement.

Lorsque leurs larmes et leurs oignons sont épuisées, ils reprennent tout doucement leurs esprits, prêts à affronter courageusement leur affliction. Ils se saisissent des pelles et me recouvrent de terre avec énergie. J’attends d’être complètement enseveli, je savoure cet avant-goût de la mort, je me laisse mûrir pendant quelques secondes…

Et je sors, comme un diable de son cercueil ! Je m’arrache à la mort, je laisse mes poumons hurler le plus grand cri de leur existence, j’ouvre les bras pour ressentir le soleil et mon retour au royaume des vivants. C’est sûr, je suis adulte maintenant. J’ai laissé le jeune garçon sous terre, dès maintenant je suis un homme, un vrai ! Capable d’assumer la charge d’une famille, d’enfants, peut-être même d’une petite maison et d’un labrador.

Devant tant de maturité, l’ambiance devient tout de suite plus posée. On prépare sereinement un barbecue, et c’est enfin l’occasion pour moi de discuter avec toutes ces têtes perdues de vues, tous ces amis qui ont fait le déplacement pour moi. On passe une soirée très agréable, d’autant plus qu’on m’annonce avec force promesses que mes tribulations sont finies pour la journée. Quid de la nuit, et du lendemain ?

Je n’en sais rien. Dans ces conditions, je profite du moment et médite les mots de Corrie Ten Boom : « L’inquiétude ne chasse pas le chagrin du lendemain ; elle prive aujourd’hui de sa force. » Puis on va dormir ; dehors, en montagne, à même le béton froid des frimas d’avril. Je m’endors en paix, heureux d’avoir passé les tests avec succès malgré les premières déconvenues de la journée. Encore aujourd’hui, je réalise que sans cette préparation pratique et pertinente, j’aurais été complètement perdu dans ma vie de couple…

Un peu de repos que diable.

VI. Les pommes

À ma grande surprise, je me réveille le matin sans avoir été embêté de toute la nuit. Je me sens même plutôt reposé ! Pour une raison qui m’échappe, j’ai beau avoir prouvé à la sueur de mon front que je serai un bon mari, il me reste toujours quelque chose à régler avec les pommes.

On redescend à Grenoble, où on m’apprend que huit pommes sont disséminées aux quatre coins du centre-ville – deux par coin. Je dois les trouver à l’aide d’une carte et de quelques indices. Une chasse au trésor, c’est génial ! C’est parfait sous ce format !

Chasse à courre, course à pied, pied en feu.

Mais ça manque d’action. Pour pimenter un peu le tout, mes « amis » (je place des guillemets désormais, parce que bon.) seront postés en embuscade, prêts à m’attraper dès que j’approche du but ! L’épreuve tient donc à la fois de la course d’orientation, et de la chasse à courre. Je suis une proie, mais je ne peux pas simplement fuir : je dois fuir en direction des prédateurs. Une très mauvaise technique de survie, pas du tout naturelle si vous voulez mon avis. Et puis à 1 contre 10, l’infériorité numérique est difficile à gérer.

Ma seule chance de rédemption se trouve en hauteur. Si je grimpe, je suis intouchable. Et si dans mon malheur je me fais attraper, par fortune je ne meurs pas, je dois simplement manger la pomme que je chassais. J’en ai mangé déjà suffisamment la veille, ça ne m’enchante guère. Ils auront su me dégoûter bien rapidement de ma passion… Une petite contrainte temporelle s’ajoute à ça : j’ai des répétitions de spectacles toute la semaine à l’autre bout de la France, je dois avoir fini suffisamment à l’avance pour ne pas manquer mon covoiturage !

Je passe donc ma matinée à courir, je ne me préserve pas du tout pour la dure semaine à venir. Tout, sauf manger la moindre pomme supplémentaire. Certains prédateurs sont juste derrière moi et cherchent à m’encercler, je les vois en train d’essayer de se cacher. Je vérifie la carte d’un œil, l’autre scrutant les environs. Exercice difficile : je ne suis pas du tout efficace et me trompe d’itinéraire plusieurs fois, transpirant d’une sueur âcre, luttant contre la panique à l’idée de voir des ennemis au bout de la rue, derrière moi, sur mes côtés, dans quelque part où il me serait impossible de fuir par les toits.

Je ne peux pas m’arrêter pour réfléchir, encore moins pour me reposer. Je suis pressé à la fois par cette traque et par le temps, qui tous deux gagnent insensiblement du terrain derrière moi. J’arrive enfin dans la rue que je cherche, je repère l’indice, j’aperçois la pomme, je n’ai pas le temps d’attendre ! Je pique une accélération, je saute sur un muret, j’esquive la personne postée en embuscade, elle n’a pas eu le temps de me voir arriver, j’en profite pour prendre appui sur un mur pour m’éjecter de l’autre côté, je franchis une barrière et je me réceptionne sur le tronc d’arbre où était la pomme. Sauvé ! J’ai le fruit ! Je suis en hauteur, on ne peut plus me toucher. Une pomme de moins à manger.

Une autre pomme se trouve au milieu d’une place touristique, en haut d’une belle fontaine sculpturale. Personne en vue : pas de temps à perdre. Je cours, complètement à découvert, en direction du beau milieu de la place. J’entends le souffle rauque d’un poursuivant derrière moi. Un crochet, brusque changement de direction, une autre personne apparaît à ma gauche ! Je suis cerné. Une seule solution, passer au beau milieu des tables de la terrasse d’un bar.

J’évite les femmes et les enfants d’abord, et je manque d’entrer en collision avec un homme. Je suis survolté, je lui sers une esquive tournante digne du tournoi des six nations en rugby, je ne fais que l’effleurer et poursuis ma folle échappée. Et je me fracasse sur une chaise (vide) juste derrière, devant le regard désapprobateur des touristes en train de tranquillement siroter leur bière. J’arrive quand même à enchaîner sans me faire prendre, à présent la fontaine est libre de toute embûche ! Je grimpe dessus, j’évite l’eau comme je peux, je récupère la pomme, et je descends en courant le plus vite possible vers ma prochaine destination. Et je me fais attraper. Je mange ma pomme. Encore.

Prochaine pomme sur la liste : au milieu d’un carrefour piéton, derrière une poubelle. Ici, chaque coin est une planque potentielle derrière laquelle un ennemi pourrait se terrer. Cette fois-ci, je suis plus prudent. Je prends le temps d’examiner calmement chaque repli de terrain, chaque anfractuosité dans les bâtiments, chaque passant suspect. Et puis j’accroche un regard.

C’est un méchant. Je l’ai vu, il sait que je l’ai vu. On se regarde en chiens de faïence pendant une fraction de seconde. Et puis je pars. Il est déjà trop tard pour toutes ces précautions. Je cours, je vois toute une masse menaçante se rameuter autour de moi, j’évite d’un rien la main d’un ennemi, je passe au travers de tous les autres, j’attrape la pomme au passage, je prends appui sur une poubelle et je me projette en direction du toit d’un abribus ! J’effectue le rétablissement le plus dynamique de ma carrière, et je retire ma jambe juste avant que quelqu’un ne parvienne à la toucher. Une seconde pomme en moins dans mon estomac !

Pour être tout à fait honnête, mes coups d’éclats sont surclassés en nombre par mes échecs. Je me fais attraper traîtreusement quand j’analyse la carte, ou alors quand je me fais piéger par les embuscades, ou alors quand, une fois la pomme récupérée, je ne parviens pas à m’échapper suffisamment vite ou à grimper suffisamment haut. Pour ma défense, grimper avec une pomme dans les mains ce n’est pas facile du tout. Vous essaierez. Quoi qu’il en soit c’est bien physique, et bien drôle !

Conclusion

Saviez vous que digérer demande beaucoup d’énergie ? Et que qu’en cas de poursuite, le corps va fort logiquement mettre la priorité à sa survie ? Par un habile jeu de vases communicants, l’énergie réquisitionnée pour la course n’est alors plus utilisable pour la digestion. Ce qui conduit certains athlètes d’endurance à des situations assez embarrassantes, entre autres de diarrhée impossibles à contenir. Dieu en soit loué, j’ai seulement un horrible mal de ventre qui se déclare une demi-heure plus tard. J’ai l’impression que les pommes fermentent dans mon ventre. Une pression bien placé et je vomis du cidre.

Soyez heureux, je n’ai pas mis d’image de coureurs ayant choppé la diarrhée pour cause de digestion retardée par l’effort physique….

Une fois de retour chez moi, je me plie en deux sur ma chaise pendant que mes amis s’amusent, se remplissent la panse et se remémorent certaines des plus belles actions de ce weekend. Mon ventre gargouille, son contenu menace de se déverser en public via l’une ou l’autre de mes extrémités corporelles. Le reste de la journée, que je dois passer en covoiturage puis au montage du décor d’un spectacle que je donnerai cette semaine, s’annonce bien sympathique ! Merci les amis.

J’avais bien dit aux organisateurs que je ne voulais surtout pas être épargné. Connaissant mes connaissances, j’aurais dû préciser qu’il fallait le prendre avec une pincée de sel… Vraiment ? Pas sûr. Contre toute attente, j’ai l’impression de ne pas le regretter du tout. Je sors de ce weekend mouvementé avec des souvenirs plein la tête, en ayant pris plaisir à voir mes amis, à relever leurs défis créatifs, et prêt à me marier ! Peut-être bien que je suis masochiste au fond…

 


 

Et pour ceux qui n’aiment pas lire, voici la vidéo de mon enterrement !