David Pagnon

À Anna

Anna, l'art de trouver des couleurs là où tout est sombre.

English version:

 

Anna

Ces deux textes sont dédiés à l’une de mes meilleures amies, décédée tragiquement il y a peu. J’ai écrit le premier la nuit avant l’enterrement ; le second est un poème de Mary Oliver (traduit en français) qui trottait dans la tête de ma femme après qu’elle a reçu la nouvelle.

 

Anna, [1]

Les mots sont pâles, les termes sont ternes ;
Et toi tu étais vibrante et bien contrastée.

Certes, la vie était souvent sombre, tu broyais parfois du noir.
Mais de cette noirceur intérieure, on n’en voyait pas la couleur.
Car tu le concassais ce noir, tu le transmutais.
Tu en faisais du vert pour la terre, tu bleu pour les cieux.
À ton contact, les plus fermés s’ouvraient,
Les fleurs malades bourgeonnaient.

Mais ça te coûtait. Cher.
Tu ressentais les malheurs du monde aussi fort que les tiens,
Et tu progressais sous ce fardeau accablant
Comme le courageux escargot auquel tu te comparais :
Bon an mal an, avec ton ventre et ton cœur,
Entre douleur et douceur, avec ce poids et ta foi.

Tu as toujours cherché Dieu, la justice, l’amour –
Vaste programme pour une mortelle !
J’espère que tu as trouvé maintenant,
Tu m’en diras les réponses un jour.
Pas forcément bientôt (tu as raison, à quoi bon se presser ?),
Mais un jour certain.

Je pleure, c’est bête : depuis hier
Tu n’as sûrement plus à t’en faire.
C’est pour moi que je pleure, car ce fut bien trop court.
Tu étais mon amie souvent loin des yeux,
Mais toujours tout contre mon cœur.
Était-ce vraiment ton heure ?

Les paroles s’envolent, les écrits sont du vent ;
Mais ton souvenir reste.

 


 

La journée d’été [2]

Qui a fait le monde?
Qui a fait le cygne et l’ours noir?
Qui a fait la sauterelle?
Je veux dire cette sauterelle-ci −
celle qui a bondi hors de l’herbe,
celle qui mange du sucre au creux de ma main,
qui bouge ses mandibules de gauche à droite, plutôt que de haut en bas −
qui regarde autour d’elle avec ses énormes yeux compliqués.
La voilà qui lève ses pâles avant-bras et se nettoie soigneusement la tête.
La voilà qui déploie ses ailes, et s’envole au loin.
Je ne sais pas exactement ce qu’est une prière.
Mais je sais comment prêter attention, comment tomber dans l’herbe,
comment m’agenouiller dans l’herbe, comment flâner et être comblée,
comment errer à travers champs,
ce que j’ai fait tout au long de la journée.
Dis-moi, qu’aurais-je dû faire d’autre?
Tout ne finit-il pas par mourir, trop rapidement? Dis-moi, qu’entends-tu
faire de ton unique, sauvage et précieuse vie?

—Mary Oliver

 


[1]↑  Je parle de mon amie d’enfance, et non pas de ma petite amie d’il y a quelques années.

[2]↑ Le poème dans sa langue originale, en anglais (cliquez ici).