Le Parkour, une discipline en voie de s’institutionnaliser ?
Actuellement en construction dans les Halles de Paris, une salle entièrement dédiée au Parkour et à destination de tous devrait voir le jour à partir de la rentrée scolaire 2015. Nous avons demandé à des adeptes de cette pratique ce qu’ils pensent de cette première initiative institutionnelle en France.
C’est en banlieue parisienne, à Evry plus précisément, qu’est née la discipline du Parkour. Fin des années 1980, David Belle, considéré comme le créateur de cette pratique sportive, s’inspire de son père et de ses récits en tant que militaire pour faire de l’espace urbain son nouveau terrain de jeu. Aux côtés de Sébastien Foucan, il imagine alors tout un sport dont le nom s’inspirera des parcours du combattant et dont le but principal est de se déplacer d’un point A à un B, en utilisant uniquement ses capacités motrices. Il faudra attendre les années 2000 pour que ce sport, alors marginal, se démocratise. Et l’industrie cinématographique y est pour beaucoup.
Connu pour son côté spectaculaire et acrobatique, ce sport surnommé parfois “l’art du déplacement” inspire alors plusieurs films, dont le plus connu reste certainement Yamakasi d’Ariel Zeitoun, porté au grand écran par les studios de production crées par Luc Besson – viendra un peu plus tard Banlieue 13 de Pierre Morel où David Belle tient d’ailleurs le premier rôle.
Si ces “samouraïs des temps modernes” ont permis une reconnaissance internationale de la pratique et fait fantasmer plus d’un jeune pour leur dextérité impressionnante, ils ont également ancré la pratique dans plusieurs clichés, surtout par rapport à son aspect parfois dangereux ou inconscient. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle son créateur s’est peu à peu éloigné des Yamakasi.
Alors que la France est incontestablement le berceau du Parkour, que de nombreuses associations fleurissent et que la discipline connaît un fort succès à l’étranger, il semblerait que nous soyons légèrement en retard du point de vue des infrastructures par rapport à d’autres pays. En effet, le Danemark a été le premier pays au monde à créer un parc entièrement dédié au Parkour, dont le très intéressant documentaire My Playground relate l’histoire.
“Il existe depuis quelques années des salles d’entrainement aux États-Unis, au Canada ou encore en Angleterre”, affirme Frédéric Serrurier, de la société Récréation Urbaine, retenue par la SemPariSeine pour définir le programme du projet Centr’HallesPark, la première salle publique dédiée entièrement au Parkour et à destination de tous.
Centr’HallesPark, une salle à destination de tous
“Pourquoi, alors que le Parkour est né en France, est-on tant en retard sur les autres pays ?” s’interroge David Pagnon, membre du comité directeur de la Fédération de Parkour et secrétaire du Laboratoire Français de Recherche et d’Études sur le Parkour. Pour lui, les raisons sont assez évidentes : de la lenteur légendaire du système administratif français, aux tensions entre les différents acteurs en passant par le rejet d’un esprit compétitif dans cette discipline… En effet, alors que le projet a pour la première fois été proposé par le Conseil parisien de la jeunesse il y a plus de trois ans, la salle n’ouvrira ses portes qu’à partir de la rentrée scolaire 2015.
“Cette activité est en plein essor et il y avait vraiment une demande existante”, assure Frédéric Serrurier. C’est ainsi que les travaux ont commencé dans l’ancienne serre tropicale des Halles. Dans cette salle aux dimensions particulières – 40 mètres de long et 8 de larges avec trois faces vitrées – tout l’enjeu a alors été d’imaginer, avec des professionnels du milieu, un espace adapté et optimisé, où novices comme avertis puissent s’entraîner ou découvrir allègrement le Parkour.
Selon les plans, la salle devrait alors être divisée en quatre zones, correspondant chacune à une pratique et un niveau différent. La première destinée aux plus petits avec des obstacles et des praticables de gym, la deuxième avec des modules amovibles pour travailler les mouvements, la troisième composée d’une zone fixe, jusqu’à trois mètres de hauteur, similaire aux blocs d’escalade et la dernière d’une zone d’échafaudage, support régulièrement apprivoisés par les traceurs.
Il s’agit d’un équipement évolutif qui permet de s’améliorer dans la technique et de découvrir les bases du Parkour. L’idée globale étant de destiner la salle exclusivement au Parkour, nous avons dû réfléchir en termes d’horaires, avec des créneaux réservés aux associations, plutôt dans l’après-midi et de le proposer à des scolaires la matinée, avec l’idée que cette discipline entre dans le programme de l’Éducation Nationale, explique Frédéric Serrurier.
Car selon lui, cette pratique a un réel intérêt pour l’école dans le sens où “il véhicule des valeurs telles que l’entraide et la persévérance et permet d’améliorer sa motricité. Une grande partie de notre mission a d’ailleurs été d’expliquer aux élus locaux l’intérêt d’une telle salle et de leur expliquer que les valeurs à la base du Parkour sont à l’encontre même des Yamakasi”.
Les valeurs du Parkour intéressantes à transmettre
Si les différents obstacles à franchir et les hauteurs bien souvent vertigineuses font apparaître le Parkour comme une discipline extrême, ses fervents pratiquants n’apprécient pas tellement cette terminologie. “Quelque chose m’hérisse particulièrement, c’est que le parkour en soit réduit à la dimension de sport extrême”, confirme David Pagnon, car pour lui ce n’est pas représentatif de ce sport. “Ce qui me plait, c’est la sensation de liberté, la découverte de lieux inconnus du grand public, des sensations exceptionnelles, l’esprit de communauté qui ne s’embarrasse pas de différences culturelles, etc”, ajoute-t-il.
Entre force, vitesse, endurance, souplesse, rigueur, le Parkour apparaît alors comme une discipline complète où tout le corps est mis à contribution. Pour Sidney, enseignant-chercheur en sciences du sport et président de la Fédération Nationale de Parkour, c’est aussi le fait de pouvoir s’entraîner dans des endroits différents qui l’excite particulièrement. Une autre manière de découvrir une ville en quelque sorte. “Je suis en perpétuelle recherche de nouveaux environnements à explorer, c’est loin d’être monotone !” se réjouit-il.
De son côté, Claire Buat, présidente de l’association Reims Parkour School, apprécie réellement le fait que ce soit un des rares sports où il n’y a pas vraiment de compétition. D’ailleurs, elle utilise désormais le Parkour dans son travail en tant qu’éducatrice sportive. “Ce que j’aime, c’est de pouvoir utiliser son côté éducatif, dans le but d’aider des jeunes à se réinsérer professionnellement et ou personnellement. Ce sport m’a beaucoup apporté, notamment dans le gain de confiance en soi”. Preuve que le Parkour peut trouver sa place dans le programme de l’Éducation Nationale par exemple. Car comme le résume bien David Pagnon :
Le Parkour est l’art de franchir des obstacles, autant concrets qu’au sens figuré. Il est probablement l’un des meilleurs exercices à la motricité, et les valeurs sont des valeurs citoyennes et importantes. Comment pourrait-on refuser que l’ensemble soit transmis au grand public ?
Échange, découverte ou perfectionnement : les avantages d’une telle salle
Si l’essence même du Parkour est de le pratiquer dans la rue et que de prime abord il semble contradictoire de l’enfermer dans un espace clos, les praticiens de cette discipline voit d’un bon oeil l’ouverture de Centr’HallesPark. Et ce pour plusieurs raisons. Pour Claire Buat, un des principaux avantages serait de pouvoir pratiquer ce sport lors des intempéries et de ne plus être dépendant du mauvais temps, même si “le Parkour peut se pratiquer en extérieur même en temps de pluie”, souligne-t-elle. Si le fait de pouvoir initier et entrainer les débutants dans un endroit sécurisé est aussi un des grands avantages de la salle, les pratiquants avertis y voient également une manière de se perfectionner.
“L’avantage avec la salle, c’est que tous les types de mouvements à travailler sont regroupés au même endroit. La salle peut booster nos progressions, au même titre qu’une préparation physique adaptée, ou qu’un groupe d’amis traceurs motivés”, se réjouit David Pagnon. Car comme le confirme Sidney, une bonne préparation physique est plus que nécessaire et les salles de gym dans lesquelles les traceurs s’entraînent régulièrement sont souvent mal adaptées.
Elle permettra de progresser plus sereinement, pour l’encadrant mais aussi pour le pratiquant. C’est ce message que nous voulons faire passer aux jeunes : ça a l’air facile sur les vidéos, mais on ne se jette pas comme ça sur le béton ! Donc que ce soit pour l’initiation ou le perfectionnement, la salle est un très bon outil. Après selon moi, ce n’est qu’un outil qui doit permettre après d’aller explorer l’extérieur avec de bonnes bases.
Tous les trois espèrent ainsi découvrir un lieu d’échange et de partage, une des valeurs qui fait du Parkour un sport également convivial.
“L’extérieur est tellement plus varié”
Si de manière générale, ils sont tous plutôt optimistes, ces traceurs émettent quand même quelques réserves. Car comme le rappelle David Pagnon, “le Parkour demande à connaître précisément ses limites ou du moins de les connaître assez pour ne pas risquer d’aller au-delà et de se blesser”, ce qui n’est en général pas le cas pour un novice. Or, en s’entraînant exclusivement dans une salle, il est possible de passer outre cette phase importante puisque les tapis sont là en cas de chute. C’est d’ailleurs pour cela qu’à Grenoble, où il donne des cours de Parkour, l’accès au gymnase n’est ouvert aux novices qu’après avoir passé plusieurs séances à appréhender l’environnement urbain.
Ils commencent en extérieur, prennent compte de la réalité du béton, et ont alors le droit de s’entraîner en intérieur. Une bonne partie d’entre eux choisissent finalement de ne plus venir au gymnase : l’extérieur est tellement plus varié ! L’inconvénient, c’est que la salle pousse à céder à la facilité, on ne voit tout d’abord que les mouvements les plus évidents. On n’a pas à explorer de nouvelles motricités.
“Comme pour les skate park, je n’aimerais pas qu’on me dise ‘maintenant que vous avez un endroit pour vous, vous êtes obligés d’aller là bas’. J’aimerais pouvoir continuer à le pratiquer n’importe où”, ajoute Claire Buat.
Car finalement, tous les sports qui ont commencé à être pratiqués de manière marginale, ont fini tôt ou tard par se démocratiser et s’institutionnaliser. Le skate mais aussi le roller, l’escalade ou encore le basket par exemple se sont forgés à l’extérieur. “C’est l’évolution logique des pratiques dans la rue, lorsqu’elles deviennent plus connues du grand public, il y a une demande de formation et d’encadrement”, résume Frédéric Serrurier. Néanmoins, si ces sports sont aujourd’hui tous codifiés avec des compétitions mondiales régulières, la majorité des praticiens du Parkour espèrent continuer de se démarquer sur une chose : qu’institutionnalisation ne rime pas avec compétition. Car selon David Pagnon :
L’objectif de la Fédération est justement de participer au développement naturel de la discipline, en essayant toutefois de conserver au maximum l’esprit originel, de le transmettre sans le diluer dans les questions d’argent, de star-système, ou de codification.