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David Pagnon

Le parkour en 2011

Le parkour en 2011 Mars 2012, Glazed Magazine, Grenoble

LE PARKOUR EN 2011 – TRIBUNE LIBRE 1/3

TRIBUNE LIBRE, c’est le nom d’une nouvelle rubrique qui permettra à des acteurs d’une discipline de s’exprimer sur leur vision de leur passion ou tout du moins de diffuser celle qui trouve la plus juste. On commence avec 3 épisodes, pour le moment axé sur le Parkour. Dans l’ordre de parution des épisodes à venir : David, Aurélien et Thomas de l’Association Grenobloise de Parkour.

Philosophie

Le Parkour, selon David Belle, c’est “aller le plus efficacement possible d’un point A à un point B”, en se jouant des obstacles. Mais c’est aussi bien plus que cela : pour être efficace et tracer sa route (le pratiquant du Parkour est appelé traceur), on ne suit pas forcément les voies classiques. Deux problèmes peuvent alors se poser : le chemin est assez peu conventionnel pour que les passants se placent malgré eux dans un état de méfiance ; ou il est potentiellement dangereux.

– Dans le premier cas, il faut faire preuve de respect, ce qui se traduit par un comportement courtois envers les passants, même les plus belliqueux ; et tant pis si l’on doit partir et ne pas faire ce saut si tentant. Ces personnes seront plus disposées à nous écouter et à apprécier notre façon d’être si on respecte également l’environnement : on n’abîme ni ne salit rien, pas même les plantes. Il est d’usage dans certaines associations d’imposer des exercices physiques à chaque personne qui casse une branche ou froisse un buisson, voire de revenir plus tard essuyer les traces qu’on n’a pas réussi à éviter de faire sur les murs. Le Parkour subit par ailleurs les influences de la méthode naturelle de Georges Hébert, dont le Leitmotiv est “être fort pour être utile”[1] : tâche impossible sans respect. C’est de cette manière que nous avons pu éviter tout problème avec la police, et avoir des relations cordiales avec les autorités, qui nous demandent maintenant de proposer des initiations au public.

– Dans le second cas concernant le danger, il faut sérieusement se demander si effectivement, on est capable ou non de faire le mouvement. On différencie le danger du risque : un saut sera potentiellement dangereux, mais il sera très peu risqué si la personne qui l’effectue maîtrise sa technique dans son état de forme présent. Le danger est objectif, tandis que le risque est subjectif : une marche d’escalier, une aire de réception réduite ou le vide représentent un certain danger ; mais selon la personne qui y est confrontée, le risque sera plus ou moins important. De manière générale dans le Parkour originel -cela peut être différent dans certaines variantes comme le free-running-, le côté extrême est mis à l’écart autant que possible : ainsi, nous n’acceptons pas les sponsorings de certaines boissons énergisantes qui le mettent en exergue. Nous prônons la mesure et non la démesure : il est indispensable de connaître ses limites ; si nous sommes capables de faire un saut, nous le faisons ; sinon, nous nous entraînons pour repousser ces limites, et être capable de le faire plus tard. Il est d’usage de dire : “Si tu tombes, c’est la chute ; si tu chûtes, c’est la tombe” ou encore “Fais-le ou ne le fais pas, mais n’essaie pas”. De cette manière, les blessures sont très rares en Parkour : on limite les impondérables, et on s’entraîne beaucoup au sol où les obstacles sont tous aussi intéressants. Les rares blessures sont subies par des débutants, et sont spectaculaires et originales : c’est pour cette raison qu’on en voit (malheureusement) beaucoup sur youtube…

Ces valeurs, résumées dans la Charte de la très prochaine Fédération de Parkour[2], sont fortes et unificatrices : elles permettent de créer une communauté de Parkour très liée, qui se bat pour ne pas conserver que l’aspect physique de la discipline. N’importe quel traceur, quelle que soit sa renommée ou son niveau, peut ainsi trouver des “inconnus” chez qui loger et avec qui s’entraîner.

Pourquoi je me suis lancé là dedans

J’ai toujours fait du sport à assez haut niveau : lutte et athlétisme. Pour des raisons variées, j’ai dû arrêter après le bac. J’ai passé quelques mois difficiles en classe préparatoire à me concentrer uniquement sur les cours, sans activité physique, avant de me rendre compte que le sport était nécessaire à mon équilibre. J’ai alors cherché un sport dont les horaires étaient souples et compatibles avec mon emploi du temps. C’est ainsi que j’ai atterri à l’AGP (Association Grenobloise de Parkour)[3], un peu par hasard.
Bien que j’aie eu à la base une vision erronée de la discipline (ce qui ne m’a pas empêché de raccrocher à une conception plus fondamentaliste par la suite), tout m’a plu immédiatement. Cette discipline est extrêmement complète puisque l’intégralité du corps est utilisée, exploitant tous les régimes musculaires (de l’endurance à la plyométrie), et elle implique une maîtrise de soi face à certains mouvements engagés, et une constance dans l’effort. Par ailleurs comme on l’a vu juste avant, les valeurs associées en font bien plus qu’un sport.

Un autre aspect qui me séduit, moi ainsi que la totalité des autres pratiquants, est la liberté qu’on ressent en traçant. On ne se pose pas de question, on bouge, et c’est tout. L’entraînement permet d’enlever des œillères, et d’ainsi métamorphoser le carcan rigide des barrières, des murets, des escaliers ou des arbres en un terrain de jeux aux potentialités infinies ! Pour reprendre l’expression d’un traceur dijonnais, c’est comme passer de la 2D à la 3D : une nouvelle dimension s’ouvre ! Quel que soit son niveau, on peut ainsi créer quelque chose d’inédit, “ouvrir” un passage ou un saut pas forcément difficile, mais que personne n’aura vu auparavant !

Mon parcours a pourtant été parsemé d’erreurs, pour la simple raison que j’ai commencé en salle, et uniquement en salle. Lorsqu’on dispose de telles infrastructures, il est plus difficile de se motiver à travailler les bases, on préfère essayer tous les mouvements qui nous viennent à l’esprit, sans se poser la question de savoir si on en est capable ou non ; puisque de toutes façons, il y a des tapis qui ne permettent pas de se faire mal. Imaginez un enfant placé à côté d’une aire de jeux fantastique, qui devrait s’imposer de lui-même de ne jouer qu’à la marelle… Je n’ai donc appris qu’à faire des saltos, et seulement en intérieur. Ce n’est pas du Parkour ! De surcroît, le jour où j’ai voulu essayer la pratique en extérieur, je voulais absolument faire les mêmes mouvements qu’en intérieur. La différence étant que sur le béton, les erreurs ne pardonnent pas… Je me suis donc blessé à plusieurs reprises. Avec le temps, j’ai pu récupérer une certaine technique, mais ça n’a pas été sans mal.
C’est aussi pour éviter ce genre d’erreurs aux débutants que nous travaillons actuellement à la construction de la fédération, qui permettrait de fournir des outils concrets et complets aux nouveaux pratiquants. Désormais à Grenoble, ceux-ci commencent donc obligatoirement le Parkour en extérieur, puis s’ils veulent travailler des mouvements particuliers, une salle de gymnastique est mise à leur disposition. Paradoxalement, une fois leur corps maitrisé, les adhérents à l’association finissent par avoir une bonne appréhension des obstacles et préfèrent délaisser la salle, où le décor ne sera jamais aussi varié et intéressant qu’à l’air libre. C’est comme passer des sudokus aux mathématiques : les mathématiques sont bien plus intéressantes, mais elles nécessitent un long apprentissage…

Business Belle

C’est difficile de s’exprimer à ce sujet et d’oser porter un regard critique sur le fondateur de la discipline. Néanmoins, tout ce qu’on peut dire est que le Parkour est davantage censé être un mode de vie qu’un gagne pain, il n’est à la base pas fait pour être lucratif. Après, lorsqu’il faut vivre, se nourrir et se loger, des questions d’argent se posent, et les tentations sont évidemment fortes d’accepter de vivre grâce à sa passion…
David Belle a eu l’occasion de tourner des films (B13, B13 Ultimatum), il l’a saisie. Il a ensuite pu participer à quelques publicités, c’est discutable mais les marques concernées ont toujours été soigneusement choisies : dans l’ensemble on ne peut pas parler de business. S’il est indéniable que le business du Parkour existe bel et bien, ce sont plutôt d’autres personnes qui en profitent.

Spot idéal

Je ne pense pas qu’il y ait de spot idéal : avec une “vision” suffisamment développée, on peut s’amuser de partout ; là où certains ne verraient rien, un traceur expérimenté peut s’amuser pendant des heures, en ville comme en pleine nature. C’est cette vision qu’il faut travailler, cette imagination qui transformera le néant en terrain de jeux. Bien sûr il est indéniable que certains endroits regorgent d’obstacles et donc de mouvements intéressants à travailler. C’est ce genre de lieux qu’on exploitera de préférence lors de l’entraînement de tous les jours, en gardant toujours à l’esprit que ceci ne sera qu’un entraînement : le Parkour est un art du déplacement, pas une compilation de sauts individuels.

Message

Le Parkour, mis à part tous les intérêts que j’ai décrit précédemment, présente l’avantage indéniable de pouvoir se pratiquer de partout, et de ne nécessiter aucun autre matériel qu’une paire de chaussures. En sachant par ailleurs qu’il est inutile d’investir dans une paire très onéreuse : ce n’est pas la chaussure qui fait le traceur. La moins chère de Décathlon (moins de 15€) convient parfaitement. Certains excellents traceurs vont jusqu’à pratiquer en chaussons de gymnastique, voire pieds nus pour s’assurer d’être propres dans leurs réceptions.
D’autre part, la communauté est à la fois très soudée et très ouverte : où que vous soyez ou que vous voyagiez, vous trouverez sûrement des pratiquants pour vous faire découvrir la discipline.
Autant de raisons de s’y mettre !

Quoi qu’il en soit, sachez qu’il faut vraiment commencer par les bases (répétitions de sauts de précisions d’un trottoir à une racine par exemple), qui comme les gammes et arpèges en musique sont très rébarbatives au début, mais qui peu à peu donnent une condition physique, un contrôle et une imagination indispensables à un progrès sain. C’est ainsi que vous pourrez respecter l’adage “être et durer”. Retenez bien que même dans les bases, il est possible de faire preuve d’imagination !

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