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Parkour, freerunning et assimilés : chroniques d’une terminologie.

Parkour, freerunning et assimilés : chroniques d’une terminologie.

Parkour, freerunning et assimilés : chroniques d’une terminologie.

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Parkour, freerunning et assimilés : chroniques d’une terminologie

Note : L’article original peut se retrouver ici. Il date un peu et est un petit peu moins pertinent qu’à l’époque : d’une part ma vision a évolué, et d’autre part les tensions semblent s’être clairement apaisées entre les différents courants. Celui-ci n’a donc plus grand chose à voir avec l’ancien !

 

Origine

Avant d’entrer dans le vif du sujet, touchons un mot des origines du parkour. Le parkour, en tant que pratique du franchissement d’obstacles, a toujours existé. Certainement même avant l’arrivée de l’être humain sur terre, comme en témoigne la vidéo Animals vs. Humans, ou la série Origins of Parkour. En tant qu’art du déplacement, le parkour est intrinsèquement lié à la survie de tout être vivant.

https://www.youtube.com/watch?v=Ymg1-Fhl69w

Avec ses « parcours du combattant », l’armée a quelque peu rationalisé ce qu’on pourrait qualifier de déplacement de survie, afin de rendre possible un entraînement spécifique. Des cascadeurs comme Arnim Dahl, John Ciampa, Buster Keaton, puis les spécialistes en arts martiaux Jackie Chan ou Tony Jaa pour n’en nommer que quelques uns, ont eux aussi développé leurs propres techniques.

Au passage, chacun conviendra que la survie (à court terme) se résume à se défendre ou attaquer, et fuir ou poursuivre, N’est-il pas stupéfiant de constater que le versant combat soit si développé dans toutes les cultures, tandis que le versant du déplacement ne se soit épanoui que dans les années 1990 ?

C’est donc à la fin des années 80 que David Belle, assez universellement considéré comme le fondateur du parkour, développe la discipline sous l’influence de son père, pompier de Paris après avoir été enfant de troupe au Vietnam. Cette histoire est largement contée dans son premier livre intitulé sobrement « Parkour ». Avec 8 autres jeunes de Lisses et d’Evry en banlieue parisienne, il fonde un groupe qui prendra en 1997 le nom de Yamakasi. Le terme, congolais et non pas japonais comme on l’imagine souvent, désigne en Lingala celui qui est fort et solide. C’est cette année-là que le premier reportage de Stade 2 permet au groupe d’être repéré pour la première fois.

Un an plus tard, David Belle et Sébastien Foucan se séparent du groupe. La dispute est vive et les raisons leur appartiennent. Le groupe Yamakasi continue de son côté, tandis que les deux autres fondent un nouveau groupe qu’ils nomment « les Traceurs », et désignent couramment sous l’attribut de « la Relève ». Les Yamakasi sont engagés en 2001 pour le film éponyme à succès (Yamakasi), et David Belle tourne en 2004 pour l’autre grand succès Banlieue 13. De son côté, Sébastien Foucan quitte la France pour l’Angleterre en 2003 et participe au documentaire de la BBC « Jump London », puis à l’épisode suivant « Jump Britain ».

A partir de ce moment là, avec la popularisation des forums sur internet et l’arrivée des plateformes de diffusion de vidéo en ligne, la communauté de la discipline explose en nombre, en France comme à l’étranger. Des articles, des vidéos, des dérives commerciales, tout ceci a passé un col et semble s’emballer sur une pente exaltante mais difficilement contrôlable. Les querelles entre fondateurs semblent dépassées, ce qui se joue alors à l’insu de leur plein gré prend une ampleur hors de toutes proportions. Ce qui, comme toujours, présente l’avantage de rendre la discipline plus accessible, plus légitime, plus connue, plus susceptible d’intéresser des créateurs ou investisseurs motivés ; mais qui également dilue la communauté et ses valeurs, et ajoute un aspect formel et bureaucratique qui bride les libertés et l’imaginaire de ce qui était auparavant un simple délire entre potes.

Pour autant, ce n’est pas le sujet [1].

Terminologie

Finalement, comment appeler cette discipline ? Parkour, Parcours, Free-running (ou Freerun ?), Art du déplacement, Art du franchissement, Yamakasi, Traceur ? Il y a de quoi s’y perdre.

Influencé par son père et son parcours, David Belle choisit naturellement l’orthographe classique, et écrit « Parcours ». Or en 1999, il rencontre l’acteur Hubert Kundé, qui l’aide à se lancer dans le cinéma. Ce dernier avance que le nom de la discipline a tout intérêt à se différencier du sens générique du mot. Il suggère de l’appeler « ParKour« . Le parkour exige un entraînement rigoureux, intense, et dur. On utilisera donc un ‘K’ en lieu et place du ‘C’, puisque cette lettre a une sonorité plus dure. Par ailleurs, le parkour c’est l’efficacité, c’est l’art d’aller jusqu’au but fixé, en empruntant le chemin le plus rapide et en s’affranchissant de tout mouvement inutile et parasite. On supprimera donc la lettre ‘S’, qui ne sert à rien puisqu’on ne la prononce pas. Et puis le nom a bien plus de style comme ça !

On en a parlé, David Belle s’est séparé des Yamakasi, qui ont eu l’opportunité de jouer un film qui porte le nom de leur discipline. Ceux-ci créent leur propre courant, l’Art du Déplacement ou ADD. Yamakasi est donc à la fois le nom d’un groupe et le nom d’un film, mais ça n’a jamais été le nom d’une discipline.

Sébastien Foucan, quant-à lui, part en Angleterre pour un reportage. On lui demande de décrire sa discipline. Pour lui, le parkour est une façon de courir en exprimant sa liberté : c’est du « Free-running« . Un peu plus souple que David Belle, il aborde les choses de façon moins martiale et plus libre. A ce titre les acrobaties, bien qu’inutiles au déplacement pur, y ont tout à fait leur place. Ce versant de la discipline correspond en fait à ce que David Belle appelait initialement le « Parkour freestyle ».

Breaking the Jump, un livre de Julie Angel, très complet et objectif pour ceux qui se poseraient plus de questions. http://julieangel.com/books/

Breaking the Jump, un livre de Julie Angel, très complet et objectif pour ceux qui se poseraient plus de questions. http://julieangel.com/books/

Pour résumer, la discipline a originellement été appelée Parcours par David Belle, mais a pris l’orthographe de Parkour sous l’influence de Hubert Kundé. Ses pratiquants sont les Traceurs, du nom du groupe créé après les Yamakasi. Des dérivés sont l’Art du Déplacement (ou ADD) créé par ces derniers, ou le Free-running (appellation abusive : Freerun) selon la traduction hâtive de Sébastien Foucan en Angleterre. Quelques autres termes ont fait leur apparition sans réussir à percer, comme l’Art du Franchissement.

On oublie tout ?

Certes tout ceci est instructif, mérite d’être dit et d’être su. Toutefois, l’origine historique des termes peut porter à confusion, voire être matière à débats enflammés. Enflammés, pour ne pas dire envenimés, croyez-en ma vieille expérience… En effet, qu’est-ce que le parkour finalement ? Et qu’est-ce qui n’est pas du parkour ? A-t-on le droit de s’appeler traceur alors qu’on fait des acrobaties ? Ou qu’on veut gagner sa vie avec le parkour ? Et les Yamakasi dans tout ça ? Comment être « dans le vrai » ? Qui est dans le vrai et qui ne l’est pas ?

La vérité, c’est qu’il n’y a pas grand intérêt à s’attarder sur les subtilités qui font les différences entre toutes ces dénominations, alors que leurs similarités sautent aux yeux. Acceptons que chacun puisse s’identifier mieux à certaines communautés qu’à d’autres au gré de son histoire et de ses goûts personnels. La vérité également, c’est qu’en pratique il n’y a pas de séparation claire d’un courant à l’autre : il y a simplement un continuum où certains privilégient le déplacement, tandis que d’autres mettent l’accent sur le visuel. Les deux se nourrissent l’un l’autre, mais les deux prennent du temps et de l’énergie.

Par ailleurs, certains courants de la discipline n’ont pas de nom. Pour réussir à enchaîner un « parcours » à proprement parler, il faut travailler de manière globale (course, explosivité, résistance, souplesse, appréhension du vide…) mais aussi spécifiquement tous les mouvements indépendamment les uns des autres. Inévitablement, certaines personnes prennent tant de plaisir à effectuer des mouvements individuels qu’elles élèvent cette capacité au rang de discipline à part entière. Comment donc la nommer ? Le « mono-franchissement » ?…

Pour conclure, certains mettent l’accent sur les enchaînements, d’autres sur les acrobaties, ou bien les sauts explosifs, d’autres encore sur la grimpe. Certains préfèrent le côté artistique, ou la performance pure, ou l’effort acharné, ou les sensations fortes, ou l’hygiène de vie, ou encore l’aspect communautaire. Tout un spectre, qui plutôt qu’être un motif de discorde devrait être apprécié à sa juste valeur : comme une richesse extraordinaire, une richesse en mouvement…

Parkour, Free-running et Art du déplacement : un seul mouvement.

Parkour, Free-running et Art du déplacement : un seul mouvement.

 

[1] Pour en savoir plus, rendez-vous sur la fédération de parkour. L’historique, et les reportages et les articles de Blane et Stéphane Vigroux par exemple vous en parleront mieux que moi.

2 commentaires sur “Parkour, freerunning et assimilés : chroniques d’une terminologie.

  1. Pingback: Parkour, freerunning et « assimilés »: Mon humble conception des choses. – David Pagnon

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