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David Pagnon

Une conférence pieds nus et quelques nuits au sec, 4/4

Une conférence pieds nus et quelques nuits au sec, 4/4

Une conférence pieds nus et quelques nuits au sec, 4/4

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Été 2015

Partie 4/4

Où les choses se résolvent. Doucement…

Illustré par cet album (Espagne) et par celui-ci (Écosse).
Partie 0/4 ; Partie 1/4 ; Partie 2/4 ; Partie 3/4 ; Partie 4/4 ; Partie 5/4 (pas facile de compter au delà des quatre doigts d’une main).


Nuit de confort, nuit d’insomnie

Où en étais-je ?

Ah ! Oui, j’en suis donc réduit à louer une chambre d’étudiant pour la nuit. Ma présentation de demain n’est pas prête du tout, et je ne me sens pas prêt à repasser une nuit dehors, sous la pluie et avec une tente effondrée qui me colle à la peau. Je suis confronté à ma propre faiblesse, et ça fait mal à mon égo.

Profitons de ce confort luxueux et de l’accès à internet pour se soucier des nuits à venir. Parmi les neuf couchsurfers que j’ai contactés, aucun ne peut m’aider. Quoi de neuf sur les forums ? Aucune réponse, la communauté de parkour de Glasgow semble ne pas être particulièrement intéressée par rencontrer de nouvelles personnes. Je commence à perdre foi en l’humanité… Ceci dit, je suis conscient que la plupart de ces personnes, y compris celles qui m’ont posé des lapins, sont très aimables et généreuses. Simplement, elles ne réalisent pas l’embarras dans lequel je suis. Petite introspection : est-ce que, à tout hasard, je ne fermerais pas trop souvent les yeux face à la misère qui imprègne la société ?

Une pression supplémentaire commence à se faire ressentir : ma mère a été avertie par je ne sais quel messager divin que j’étais en difficulté. Elle passe son temps à m’appeler pour me demander des nouvelles – que je n’ai pas. J’ai beau lui minimiser la vérité comme un arracheur de dents, elle ne me croit pas et propose de m’envoyer de l’argent – qu’elle n’a pas -, ou en tout cas de prier pour moi. Allez-va, j’accepte les prières ! À la fin de la conversation, je me retrouve à lui avoir promis de ne pas dormir dehors les prochains jours. Comme je ne veux pas lui mentir, je n’ai pas le choix : il faut absolument que je trouve une solution.

Les chambres de la fac, bien que louées « seulement » 37 euros par nuit, restent trop chères pour moi : elles ont entamé la moitié de l’argent qu’il me restait, en un coup de cuillère à pot de chambre. Dire que j’étais censé être logé aux frais de mon laboratoire ! Pourquoi est-ce que j’ai eu la bêtise de confirmer que je me faisais héberger par des amis ?! C’est trop tard maintenant… Je ne suis pas prêt à mendier un peu d’argent à l’université, ni à décrédibiliser par la même occasion tout mon discours sur les belles valeurs du parkour.

Et sur facebook ? Des nouvelles ? J’y trouve un message de Dylan, celui-là même qui m’avait proposé de dormir chez lui avant de se rétracter. Constatant que je n’ai pas de nouvelles des amis vers lesquels il m’avait orienté, il me propose de dormir chez lui le lendemain soir, et pense avoir une solution pour les soirs suivants. L’imbroglio commencerait-il à se dénouer ?

Je tiens à ma peau, ne faisons pas l’erreur de vendre celle de l’ours avant de l’avoir tué. En attendant j’ai un abri pour la nuit, restons-en là ! La bible le dit bien : « Ne soyez pas en souci pour le lendemain, car le lendemain sera en souci pour lui-même ; à chaque jour suffit sa peine. » (Matthieu 6:34) J’ai eu bien assez de peine pour aujourd’hui.

"Vous

 

Maintenant que le plus urgent est réglé pour deux jours, penchons-nous sur la préparation de la conférence. J’ai un doute concernant mes résultats. Mes statistiques sont-elles vraiment correctes ? Un soupçon m’assaille : j’ai une interprétation qui tient la route pour un certain résultat, soit. Mais est-il bien normal que je puisse faire la même interprétation si le résultat est opposé ?…

La recherche empirique est décidément susceptible d’être bien partiale et subjective. C’est pour cette raison que j’ai de plus en plus de mal à faire confiance à un article avant qu’il ne soit corrélé par de nombreuses autres études. Bref, dans le doute je préfère être rigoureux, je refais toutes mes statistiques avec un autre paradigme. Deux heures plus tard, la nuit est déjà bien avancée et mes résultats confirmés. Et ma présentation est toujours au point mort.

Quand arrêterai-je de tout remettre en question au moindre doute ? C’est ce travers qui me place invariablement dans l’urgence la plus absolue à chaque fois que j’ai un dossier à rendre. J’ai beau le savoir, je n’arrive pas à m’en affranchir, à balayer le doute de mes pensées lorsqu’il n’y a pas sa place. Ce n’est pourtant pas faute d’essayer !

Tout bien considéré, est-ce qu’il n’y aurait pas un côté positif à cette perte de temps ? Est-ce qu’un chercheur n’est justement pas censé n’affirmer que ce dont il est absolument sûr ? Quoiqu’il en soit, si vraiment je tenais à douter de tout, j’aurais dû m’en soucier plus tôt… Il est peut-être là le réel problème.

Bon. J’ai assez réfléchi pour la journée, je suis assez fatigué et malade comme ça, maintenant au lit !

Mendier chez plus pauvre que soi ?

C’est vraiment confortable un vrai lit. J’en viendrais presque à considérer de m’en procurer un pour chez moi. De la chaleur, de vraies couvertures sèches, une couche moelleuse, c’est tellement agréable ! J’en profite tellement, que je ne peux pas m’endormir. Rien à faire, aucune technique de relaxation ne me vient en aide. Je suis trop fatigué pour me détendre.

La réalité est absurde et grotesque, elle se dessine pourtant pleine d’évidence à mon esprit. Un esprit beaucoup trop clair pour cette heure tardive de la nuit. J’aurais donc plus de facilité à dormir dans une tente et dans le froid, sur un toit trempé où je suis susceptible de me faire surprendre à tout instant, que dans un lit confortable au chaud… Toute une rééducation à engager !

Quelques courtes heures plus tard, il est déjà temps de me lever. Je retourne au centre de conférence, m’y ennuie rapidement mais soigneusement, avant d’assister aux diverses présentations qui m’intéressent. J’en profite pour répéter mon oral, et laisse la journée s’écouler avant de rejoindre Dylan.

Sur le lieu de rendez-vous, je me fais aborder par une dame qui encore une fois, me propose de la nourriture. Cette fois ci je suis clair, je lui explique que malgré les apparences, je ne suis pas particulièrement pauvre, ni sans-abri – du moins, pas cette nuit. En principe.

 » Oui, désolé si j’ai heurté votre sensibilité !

– Ah non y a pas de souci, je n’ai rien contre les clochards ! Seulement, votre nourriture profiterait probablement plus à d’autres qu’à moi…

– Je comprends. Mais j’aborde simplement les gens pour qu’ils sachent qu’il y a un traiteur spécialisé dans les mariages au bout de la rue, qui balance ses restes tous les jours. C’est dommage ! J’en ai récupéré trop pour moi, donc que tu sois dans le besoin ou non, le fait d’accepter cette nourriture évitera un peu de gaspillage !

– Dit comme ça… Disons que je suis prêt à rendre ce fier service à la planète. Merci ! »

Sur ce arrive Dylan, qui me reconnait instantanément sans pour autant m’avoir jamais vu. Je ne sais pas, je dois parfaitement cadrer avec l’idée qu’on se fait d’un va-nu-pieds sans abris… On se dit bonjour sans effusions excessives, car je n’aime pas les cérémonies en grandes pompes. Déjà des pompes je n’en ai pas, et si j’en avais elles ne seraient pas grandes (à savoir, je chausse du 39. C’est ma plus grande fierté).

Et puis surtout, soudainement Dylan semble intéressé par le discours de mon interlocutrice. Il est bien dans le besoin, et un plan pour avoir de la nourriture gratuite ne serait pas de refus. Comme quoi, me tirer de la misère lui aura été vite rentable ! « Y a pas de quoi frère, c’est avec plaisir que je sollicite ton aide. » Sur le chemin de son appartement, il commence à m’expliquer sa situation.

Il a perdu son travail pour des raisons que je ne détaillerai pas, et a dû rendre son appartement dans la foulée faute de moyens pour payer le loyer. Il loge actuellement chez un de ses amis, qui est assez peu enthousiaste à l’idée d’héberger une seconde personne. Pour couronner le tout, la semaine dernière un de ses amis (non traceur) est tombé d’un toit et livre actuellement une bataille avec la mort.

Et c’est lui qui fait les efforts pour me trouver des solutions… Il a du mérite. Beaucoup de mérite. Comme souvent, c’est ceux qui ont le moins de moyens qui en mobilisent le plus pour les autres. Ceux qui ont besoin d’aide comprennent mieux la valeur d’un coup de pouce. Je lui en suis d’autant plus reconnaissant, surtout qu’il me confirme avoir trouvé une place dans une collocation pour la nuit suivante.

Tout va bien ? Vraiment ??

Je passe une autre bonne nuit, toujours aussi courte puisqu’on en passe une bonne partie à discuter. Le lendemain au centre de conférence, je remarque l’homme qui fait le pied de grue à l’entrée, le même depuis le début.

 » Ca va, vous ne vous ennuyez pas trop ?

– Euuuuh, haha je n’ai pas le droit de vous répondre honnêtement, désolé ! répond-il en bafouillant, surpris que quelqu’un lui adresse la parole.

– Ce n’est pas trop fatigant de rester debout comme ça toute la journée ?

– L’ennui, comme la position debout, on s’habitue à tout !

– Vous voulez que je vous rapporte un truc à manger ou à boire ?

– Non merci, c’est super gentil mais tout va bien ! »

Je vais déposer mon sac à la consigne, où je suis accueilli par un :

 » L’homme sans chaussures !! Vous êtes célèbre maintenant. »

Joli score, en sachant que je n’ai pas encore donné mon oral et que je ne suis qu’un parmi les 1260 chercheurs ! J’en suis fier comme un paon tiens, et je suis plus décidé que jamais à continuer sur ma lancée et rester pieds nus. Ça m’évitera les cloques dans des chaussures mal adaptées. J’attends toujours d’être convaincu de l’importance sociale des chaussures. Je souhaite des arguments de valeur, un peu moins creux et plus construits que « Oui mais c’est une conférence internationale quand même ! ».

Plus tard dans l’après-midi je repasse devant le cerbère, qui s’exclame avec enthousiasme :

 » Bientôt fini !! »

Tout à fait, d’ailleurs moi aussi je suis soulagé, ma présentation est enfin derrière moi ! On me signale qu’il faut le préciser, oui la conférence s’est bien passée. J’ai eu quelques questions, des contacts et des bons retours. Certes ce n’était pas gagné et c’est extraordinaire. Mais que puis-je en dire de plus ? Ma spécialité c’est la narration de galères, pas des succès… Toujours est-il que le reste de la conférence n’a plus qu’à se dérouler tranquillement, il ne devrait plus y avoir de mauvaise surprise. Comble du bonheur, je ne devrais plus dormir dehors les nuit suivantes !

Dylan et ses potes me retrouvent à la sortie du centre de conférences pour une session de parkour. Pour conclure cette journée, j’ai une bonne pèche. Cette pèche est entretenue par les réactions impressionnées de mes compagnons, qui n’ont aucun scrupule à exploser mon quota d’égo journalier. On se dirige ensuite vers la collocation où je suis accueilli par les amis de Dylan. Ceux-ci ne se sont pas vus depuis longtemps. Pour fêter l’occasion, ils sortent la bouteille. LES bouteilles pardon, ce sont des Écossais bien sûr.

Tout ceci est bien sympa, mais ça ne va pas m’aider à me reposer… Je suis trop fatigué pour toucher à une seule goutte d’alcool, je refuse poliment les verres qui me sont tendus. Certes, celui qui refuse un verre a l’air con, mais celui qui l’accepte a l’herpès (gloire soit rendue aux Inconnus pour cette perle). Et à choisir, je préfère avoir l’air con. Parce que personne n’est contre un con-Pagnon.

J’apprends au cours de la soirée qu’un des colocataires fait partie de l’entreprise qui fournit les repas à la conférence ! Coïncidence amusante. Il y est payé sous la table et ses droits du travail ne sont pas bien respectés, mais il faut croire que ce genre de situation n’est pas particulièrement révoltante dans ce pays.

Sans avoir touché à une seule goutte d’alcool, le lendemain je partage néanmoins avec mes hôtes un désagréable syndrome céphalo-rectal, plus vulgairement qualifié de « tête dans le cul ». Ou encore, mais je dois être le seul à le nommer de cette façon, le syndrome Cunégonde. Parce que Cul-nez-gonde, c’est vraiment un prénom suce-pet (dernière vanne vaseuse, promis !).

 » Prends un café David !

– Non merci, ça n’est pas ma tasse de thé. Et vous, vous n’allez pas gaspiller ces restes de bouteilles quand même ?

– Ah ferme-la, ça nous a soûlé ! »

Dimitri, traceur grenoblois que je retrouve à Glasgow par hasard !

Dimitri, traceur grenoblois que je retrouve à Glasgow par hasard !

Je les remercie chaleureusement et prends congé, pour un dernier jour de conférence ! Hier soir est arrivé mon pote du parkour Dimitri, qui rend visite à deux de ses amies en stage à Glasgow. Il leur a parlé de mon cas, et elles sont complètement d’accord pour m’accueillir, ça semble même les amuser !

S’ensuit donc une période de félicité chez Flore et Léora, où je peux dormir de tout mon soûl, être épargné du froid et de l’humidité, me refaire une santé physique et mentale pendant trois jours pour repartir de plus belle vers de nouvelles aventures en direction du Loch Lomond. Ces demoiselles font tout pour me faire endosser le stéréotype de l’aventurier et me convaincre d’accepter le repos du guerrier. Elles soignent cet environnement douillet, en allant jusqu’à passer des heures à sécher mes chaussettes au fer à repasser ! C’est gentil mais c’est un peu excessif les amies.

Le calme après la tempête.

3 commentaires sur “Une conférence pieds nus et quelques nuits au sec, 4/4

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